La Chine est omniprésente dans les grands projets ferroviaires en Afrique. L’Empire du Milieu orchestre une véritable diplomatie des transports, avec comme principales locomotives la China Railway Construction Corporation (CRCC) et la China Export-Import Bank. Depuis 2012, elle multiplie ses interventions et se tisse un solide leadership sur le marché africain. Des projets de lignes ferroviaires se multiplient dans plusieurs pays du continent.

En novembre 2014, cette diplomatie du transport prend une nouvelle dimension quand Pékin signe avec le Nigéria un contrat de construction d’un chemin de fer de 1.402 km qui doit relier les villes côtières du pays, entre Lagos (Sud-Ouest) et Calabar (Est). C’est le pus grand contrat de construction à l’étranger dans l’histoire de la Chine, selon l’agence officielle chinoise Xinhua. Cette voie, qui coûtera 11,97 milliards de dollars et d’une vitesse de pointe de 120 km, disposera de 22 stations.

Mais c’est le méga-contrat que l’Empire du Milieu a signé le 27 janvier 2015 avec l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba qui donne une nouvelle tournure à la coopération économique sino-africaine. Ce protocole d’accord prévoit la construction d’autoroutes, de trains à grande vitesse et de liaisons aériennes qui relieront les capitales africaines.

Cette stratégie est tout aussi perceptible dans le secteur maritime. La stratégie du pays de Mao : détenir des actions dans des sociétés pétrolières africaines à travers de grandes firmes telles que la China Petroleum and Chemical Corporation (SINOPEC), la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), et la China National Corporation Petroleum (CNPC), et investir dans les ports maritimes africains. D’ailleurs, des entreprises chinoises construisent actuellement douze ports en eau profonde dont sept sont localisés sur les côtes africaines : Dakar, Djibouti, Libreville, Maputo, Tema (Ghana), Dar es Salam et Bizerte. Les projets ferroviaires ainsi que le protocole d’accord signé avec l’Union africaine entrent dans ce sillage. Ces espaces portuaires seront connectés à la «Nouvelle route de la soie» que la Chine envisage de construire entre l’Asie et l’Europe.

L’intégration des pays africains dans ce projet transcontinental permettra, certes, à la Chine d’accroître sa compétitivité par le biais des exportations, mais elle stimulera surtout l’exportation des produits chinois sur le marché africain qui compte un milliard de consommateurs. De nouvelles cargaisons qui s’ajouteront à celles déjà existantes dans la quasi-totalité du continent, où l’on dénombre près de 80% de produits manufacturés made in China. Des paquebots qui serviront probablement à l’acheminement des matières premières du continent à Pékin.

Quelles sont réellement les raisons qui motivent la diplomatie des transports de la Chine en Afrique ? Qu’est-ce qui la différencie de celle des pays occidentaux ? Comment les pays africains peuvent-ils tirer profit de cette relation commerciale avec l’Empire du Milieu ? Pourquoi la Chine privilégie-t-elle le soutien à ses entreprises à l’investissement en Afrique ? Peut-on parler d’une Chine-dépendance pour l’Afrique ? Autant de questions abordées dans ce large focus avec en toile de fond un grand entretien avec Thierry Pairault socio-économiste, sinologue et directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Focus réalisé par Elimane Sembène

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Les rails, locomotives de la diplomatie chinoise en Afrique

La Chine est omniprésente dans les grands projets ferroviaires en Afrique. L’Empire du Milieu orchestre une véritable diplomatie des transports, avec comme principales locomotives la China Railway Construction Corporation (CRCC) et la China Export-Import Bank.

«Construisez les routes avant de vous enrichir», dixit un proverbe chinois. En Afrique, les entreprises chinoises en font leur credo. Elles représentent la pierre angulaire dans la construction des grands projets d’infrastructures, particulièrement, dans le transport ferroviaire. Depuis 2012, la Chine multiplie ses interventions et se tisse un solide leadership sur le marché africain. En septembre 2012, le Nigéria a paraphé un contrat de 1,5 milliard de dollars US avec la China Railway Construction Corporation (CRCC) pour la remise en état de son réseau ferroviaire.

En août 2014, la même entreprise a livré la ligne de chemin de fer de 1.344 km reliant le port de Lobito (Angola) à la province du Katanga (République démocratique du Congo) dont le coût d’investissement s’élève à 1,83 milliard de dollars. Dotée de 67 gares, cette voie ferrée d’une vitesse de 90 km/h facilitera le transport de 4 millions de passagers et l’acheminement de 20 millions de tonnes de matières premières par an. À en croire l’agence officielle chinoise, Xinhua, 100.000 habitants ont été recrutés et plus 10.000 d’entre eux ont bénéficié d’une formation technique dans le cadre de ce projet.

 

La locomotive chinoise passe d’abord par l’Afrique orientale…

Trois mois plus tard, plus précisément en octobre 2014, la China Road & Bridge Corp (CRBC) entame au Kenya la construction d’un chemin de fer devant relier la capitale Nairobi à la ville portuaire de Mombasa, la deuxième plus grande ville du pays. D’après Henry Rotish, secrétaire kenyan au Trésor, c’est le plus grand projet d’infrastructure du Kenya. Son coût est estimé à 447,5 milliards de Shillings (monnaie locale) soit 5,2 milliards de dollars. Cette voie ferrée d’une longueur de 487 km assurera la circulation de marchandises (80 km/h) et de passagers (120 km/h). Contrairement aux deux précédents projets sus-énumérés, le gouvernement kenyan a bénéficié d’un prêt de 375,8 milliards de Shillings de la China Export-Import Bank, soit 90% des coûts liés aux travaux. Le gouvernement déboursera les 10% restants, soit 49 milliards de shillings. Selon Henry Rotish, la moitié de ce prêt qui doit être remboursé dans 15 ans, a été accordé à l’État kenyan aux conditions du marché et le reste à des taux concessionnels. Quelque 2.500 responsables et ingénieurs chinois ainsi que 30.000 employés y participent. Parallèlement, le Kenya et la Chine avaient signé en mai 2014 un accord d’un montant de 5 milliards de dollars US, pour la construction d’une liaison ferroviaire entre Mombasa et Malaba (ville frontalière avec l’Ouganda). Ces lignes devraient se prolonger vers Kampala (Ouganda), Kigali (Rwanda), Bujumbura (Burundi), et Juba (Soudan du Sud). Les travaux devraient durer 3 ans et demi.

La participation d’entreprises chinoises dans les projets ferroviaires dans la Corne de l’Afrique ne s’arrête pas là. La China Civil Engineering and Construction Company (CCECC) et la China Railway Engineering Company (CREC) pilotent actuellement la construction du chemin de fer électrique d’un investissement de 4 milliards de dollars reliant la capitale éthiopienne (Addis-Abeba) et djiboutienne (Djibouti). Cette liaison de 740 km est la première du genre construite à l’étranger par la Chine. Sa mise en service allégera les difficultés aux nombreux usagers de cet axe routier. En effet, une semaine est nécessaire pour transporter par la route des marchandises entre les deux capitales. D’après la société Ethiopia Railway Corporation, une fois opérationnelle, cette ligne réduira ce trajet à sept ou huit heures. Les premiers rails ont été posés en mai 2014, les travaux devaient être achevés fin 2015. Ces différentes voies ferrées font partie d’un vaste projet de huit corridors ferroviaires d’une longueur de 4.744 km que la Chine ambitionne de réaliser pour relier les grandes métropoles de l’Afrique de l’Est.

… traverse l’Afrique de l’Ouest et du Nord…

En novembre 2014, cette diplomatie du transport prend une nouvelle dimension quand Pékin signe avec le Nigéria un contrat de construction d’un chemin de fer de 1.402 km qui doit relier les villes côtières du pays, entre Lagos (Sud-Ouest) et Calabar (Est). C’est le pus grand contrat de construction à l’étranger dans l’histoire de la Chine, selon l’agence Xinhua. Cette voie, qui coûtera 11,97 milliards de dollars et d’une vitesse de pointe de 120 km, disposera de 22 stations. Le projet va créer 200.000 emplois locaux directs ou indirects, 30.000 postes fixes pourraient voir le jour dès que la ligne sera fonctionnelle. Au Gabon, les entreprises chinoises ont également construit 430 km de voies ferrées. La locomotive chinoise se signale aussi en Afrique du Nord, en Égypte plus précisément. Le 13 avril 2015, l’une des filiales de la China Railway Construction Corporation s’est adjugé un contrat d’un montant de 600 millions de dollars pour la construction de deux voies ferrées qui doivent relier le quartier El-Salam City à Bilbeis City et Sharqeya.

… avant de rallier le reste du continent

Mais c’est le méga contrat que l’Empire du Milieu a signé le 27 janvier 2015 avec l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba qui donne une nouvelle tournure à la coopération économique sino-africaine. Ce protocole d’accord prévoit la construction d’autoroutes, des trains à grande vitesse et des liaisons aériennes qui relieront les capitales africaines. D’après Nkosana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’UA, ce projet, «le plus important jamais signé par l’Union africaine avec un partenaire (…) marque le coup d’envoi de la réalisation de l’agenda 2063», échéance fixée par l’UA pour la mise en place d’une Afrique «unifiée et prospère». Pour Zhang Ming, vice-ministre chinois des Affaires étrangères, c’est «l’accord du siècle». Les détails du projet n’ont pas été dévoilés, mais si l’on en croit Dlamini-Zuma, un groupe d’experts a été créé pour travailler sur le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse, les liaisons aériennes et l’industrialisation avec des équipes présentes dans les pays concernés. C’est un secret de polichinelle, de nombreux passagers sont obligés de transiter par Paris ou Londres pour se rendre d’une capitale africaine à l’autre. Un long trajet pour rejoindre des pays pourtant si proches géographiquement. Ces tracasseries seront donc bientôt un mauvais souvenir grâce à ce gigantesque projet.

Des intérêts inavoués…

D’après la Banque africaine de développement (BAD), les coûts liés aux transports représentent entre 30 et 50% du volume des importations africaines. La Chine saisit donc cette opportunité pour investir dans un secteur stratégique et porteur. Toutefois, ces investissements tous azimuts ne sont pas exempts de reproches. Certains observateurs pensent que l’Empire du Milieu utilise ses projets comme un tremplin pour accéder aux matières premières du continent. Ce que dément Pékin. «Notre relation avec les pays africains n’est pas seulement basée sur l’énergie ou les ressources», avait indiqué en 2009 Zhai Jun, ministre adjoint des Affaires étrangères.

Mais à y voir de plus près, on constate aisément que l’effervescence des activités chinoises en Afrique n’est pas anodine. La Chine est actuellement le premier consommateur d’énergie au monde depuis 2010, devant les États-Unis, et le premier importateur mondial de pétrole en 2013, avec des importations estimées à 6,5 millions de barils/jour durant le mois de septembre de la même année, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Pour satisfaire les besoins énergétiques de sa population, elle s’est tournée vers les monarchies du Golfe en particulier l’Arabie saoudite, le Moyen-Orient et l’Afrique. Avec la stabilité chancelante observée dans les pays arabes, la Chine a décidé de circonscrire ses approvisionnements en Afrique. Les ressources naturelles du continent aiguisent forcément l’appétit. L’Afrique détient 30% des réserves mondiales de matières premières minérales et pas moins de 10% des réserves mondiales de pétrole. Ainsi, en investissant dans les infrastructures (20 milliards de dollars investis dans les infrastructures depuis 2012), Pékin s’attire la sympathie des gouvernements africains, ce qui lui permettra d’être privilégié, par rapport aux puissances occidentales, dans l’octroi des grands projets pétroliers, hydrauliques, miniers, etc. La présence d’entreprises chinoises, notamment au Nigéria et en Angola (pétrole), au Zimbabwe et en Afrique du Sud (or), au Mali (coton), des pays disposant d’un sous-sol gâté par la nature, en est une parfaite illustration.

La «nouvelle route de la soie» comme courroie de transmission

La stratégie du pays de Mao : Détenir des actions dans des sociétés pétrolières africaines à travers de grandes firmes telles que la China Petroleum and Chemical Corporation (SINOPEC), la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), et la China National Corporation Petroleum (CNPC), et investir dans les ports maritimes africains. D’ailleurs, des entreprises chinoises construisent actuellement douze ports en eau profonde dont sept sont localisés sur les côtes africaines : Dakar, Djibouti, Libreville, Maputo, Tema (Ghana), Dar es Salam et Bizerte. Les projets ferroviaires cités plus haut ainsi que le protocole d’accord signé avec l’Union africaine entre dans ce sillage. Ces espaces portuaires vont être connectés à la «Nouvelle route de la soie», que la Chine envisage de construire entre l’Asie et l’Europe. L’intégration des pays africains dans ce projet transcontinental leur permettra certes d’accroitre leur compétitivité par le biais des exportations, mais elle stimulera surtout l’exportation des produits chinois dans le marché africain qui compte un milliard de consommateurs. De nouvelles cargaisons qui vont s’ajouter à celles déjà existantes dans la quasi-totalité du continent, où l’on dénombre près de 80% de produits manufacturés made in China. Des paquebots qui serviront probablement à l’acheminement des matières premières du continent à Pékin.

Les retombées des investissements chinois transparaissent également dans l’accroissement de ses flux migratoires. L’Afrique devient de plus en plus une terre d’accueil pour de nombreux ressortissants chinois. Leur nombre est passé de 750.000 en 2007 à 1 million actuellement, environ 100 fois plus que le nombre de Japonais. Ce sont généralement des commerçants et des ouvriers. D’ailleurs, certains syndicats de travailleurs déplorent le favoritisme de cette main d’œuvre chinoise au détriment des ouvriers locaux, et pointent du doigt leurs conditions de travail. L’arrivée massive de ces migrants est considérée comme un «envahissement» par certains autochtones. La Chine doit donc dissiper ces craintes pour que le couple sino-africain emprunte les rails de la croissance mutuelle.

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Les hommesde la “Chinafrique”

L’émissaire : Wang Yi
Le ministre des Affaires étrangères est l’homme de toutes les missions, et surtout celui que le Président envoie en éclaireur préparer le terrain sur le continent africain. Diplômé de la BISU (Beijing International Studies University) où il a étudié au département des études asiatiques et africaines, il est en poste depuis mars 2013 et la prise de fonction de Xi Jinping. Si Wang Yi a fait l’essentiel de sa carrière diplomatique en Asie, et notamment au Japon, il a fait une entrée remarquée sur la scène internationale lors de sa visite en Israël et dans les territoires palestiniens en décembre 2013. En juin 2014, il a renoué les relations diplomatiques avec la Somalie et négocie, depuis, activement le déploiement des entreprises et de l’armée chinoise dans la corne de l’Afrique. Très attaché au rôle de l’ONU et de l’Union africaine, il est l’artisan du concept de «rêve africain» construit sur le modèle du «rêve chinois» prôné par son mentor Xi Jinping.

 


L’ambassadeur : Kuang Weilin

Avec les États-Unis, la Chine est l’un des rares pays à disposer d’un ambassadeur exclusivement chargé des relations avec l’Union africaine, en la personne de Kuang Weilin. Un représentant de l’organisation panafricaine devrait également bientôt s’installer à Pékin. «Pendant de longues années, la Chine s’est appuyée sur la coopération bilatérale, c’est-à-dire d’État à État. Avec cette nouvelle mission, nous ajoutons une dimension multilatérale. La Chine veut montrer à l’Afrique et au monde qu’elle est prête à faire plus avec l’Afrique», a assuré Kuang Weilin lors de son entrée en fonction en mars 2015.

 


Le «monsieur Afrique» : Zhong Jianhua

Il est le représentant spécial de Pékin en Afrique depuis 2012. Ancien ambassadeur à Pretoria de 2007 à 2012, Zhong Jianhua est très actif sur le dossier du Soudan du Sud. Ce n’est pas un hasard : des soldats chinois sont déployés dans le pays dans le cadre de la mission de l’ONU et Pékin s’oppose toujours à des sanctions contre Juba. Ce n’est qu’en 2007 que le Parti communiste chinois, en tant qu’instance politique suprême, a créé une fonction de représentant spécial pour les affaires africaines. Cette décision a été prise suite aux recommandations du Foreign Affairs Leading Small Group (FALSG), une sorte de think tank réunissant les personnalités les plus influentes du PCC en matière de politique étrangère et de défense. Présidé par Xi Jinping, le Président chinois lui-même, le groupe définit les grandes lignes de la diplomatie chinoise en Afrique.

 

 


Le professeur : Liu Guijin

Liu Guijin a été le premier à occuper ce poste de «monsieur Afrique», après avoir été ambassadeur au Zimbabwe (1995-1998), puis en Afrique du Sud (2001-2007). Il s’est particulièrement illustré comme médiateur au Soudan entre 2007 et 2012. Passé également par le Kenya et l’Éthiopie, il est certainement le diplomate chinois qui connaît le mieux le continent africain. Depuis 2012, il dirige l’Institut des études sur l’Afrique et l’Asie de l’Ouest, le département Asie-Afrique de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) et préside la China-Africa International Business School à l’Université du Zhejiang. Son parcours illustre bien les liens étroits qui unissent, en Chine, le monde de la diplomatie et l’université.

 

 

Le penseur : Xu Weizhong
On lui doit quelques formules-chocs sur la Chinafrique : «L’Occident nous envie notre politique africaine», «Les Européens ont toujours considéré l’Afrique comme leur jardin privé, c’est terminé», ou encore «L’Afrique ne peut pas copier la Chine, mais elle peut apprendre beaucoup plus de nous qu’elle ne l’a fait de l’Europe». Des phrases que Xu Weizhong distille à foison dans la presse internationale et dans les conférences qu’il donne régulièrement à travers le monde. Son exemple favori est l’Éthiopie, où se met en place un partenariat sino-africain orignal.

 

 

 

Le sherpa : Lin Song Tian
Nommé fin juillet directeur du département Afrique du ministère des Affaires étrangères chinois, Lin Song Tian est un fin connaisseur du continent. Il est notamment chargé du suivi du Focac, le Forum sino-africain, et de la mise en place des fameux 60 milliards de dollars promis par Xi Jinping à Johannesburg. Il prône notamment une approche tous azimuts de la relation avec le continent : coopération culturelle, académique, diplomatique et bien sûr économique. Il doit mettre en place le comité de suivi du Focac 2015 et prépare déjà le prochain sommet prévu à Pékin en 2018.

 

 

 


La banquière : Zhong Man Yin
Responsable de la section Afrique et Asie de l’Ouest au sein du ministère du Commerce chinois, cette femme de caractère a œuvré à l’élargissement de la nouvelle Route de la soie à l’Afrique. Zhong fut diplomate en poste en Afrique du Sud de 2007 à 2012, puis chargée des relations économiques avec le continent avant de prendre son poste au ministère du Commerce. Sa section joue un rôle crucial dans la promotion des intérêts économiques chinois sur le continent et coordonne les activités du gouvernement avec la Chambre de commerce sino-africaine et le Fonds sino-africain de développement.

 

 

Le monsieur sécurité: Zhao Changhui
Il dirige le département Risque Pays de l’Exim Bank, la banque chinoise d’import-export qu’il a rejoint en 1994. Spécialiste des questions de sécurité énergétique, il a décroché en 2004 son doctorat en économie à la prestigieuse Université Renmin de Pékin. Il est à l’origine du Forum pour la coopération sino-africaine, le Focac, dont la sixième édition vient de se terminer.

 

 

 

 

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Entretien avec Thierry Pairault, Socio-économiste et sinologue
«Les pays africains doivent instrumentaliser la présence chinoise»

 

Thierry Pairault est socio-économiste, sinologue et est directeur de recherche émérite au CNRS. Dans cet entretien, il analyse les grands axes de la diplomatie économique de la Chine sur le continent et les stratégies que doivent mettre en place les États africains pour tirer profit de la relation commerciale avec l’Empire du Milieu.

La Chine a construit ces dernières années de grands projets ferroviaires en Afrique. On évoque plus de 2.000 km de voies ferrées construites. Quelles sont les raisons qui motivent cette diplomatie des transports?

Il est important de signaler que ce sont des États africains qui font appel aux services de ces entreprises chinoises; ce n’est pas la Chine qui vient lancer ses propres projets dans ces pays. Je ne pense pas que les Chinois vont construire ou reconstruire une ligne ferroviaire s’il n’y a pas eu de sollicitation ou d’accord local. Il faut donc dédiaboliser cette présence chinoise et prendre cela comme une logique de marché dans les relations entre la Chine et les pays africains, avec une stratégie particulière en fonction du pays. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces entreprises ne sont pas seules à la manœuvre.

À titre d’exemple, la grande mosquée d’Alger a été construite par une entreprise chinoise en collaboration avec un architecte allemand, une entreprise d’ingénierie française, et une entreprise de conseil canadienne qui ont géré les aspects techniques, les Chinois s’étant occupés de la partie manuelle. Donc on n’est pas seulement dans un dialogue fermé entre la Chine et un pays africain, et encore moins la Chine et l’Afrique, mais un dialogue entre des entreprises de tout bord, qui s’allient avec des gouvernements africains. L’aéroport Maya-Maya de Brazzaville a été construit par les Chinois avec des bureaux d’étude et de conseil d’entreprises étrangères notamment suédoises.

Que vous inspire cette nouvelle facette des investissements chinois en Afrique?

Aujourd’hui, la Chine connait une situation difficile et essaie de s’ouvrir à de nouveaux marchés pour écouler ses produits. On assiste à une volonté de participer à l’organisation de réseaux qui doivent permettre l’écoulement des produits chinois ; on le constate aussi bien en Europe qu’en Afrique et en Asie. La Chine participe à des travaux de rénovation, de réaménagement de transports ferroviaires. Il existe toute une stratégie qui est mise en place pour favoriser le développement en sollicitant et en mettant les pays locaux à la manœuvre pour l’écoulement de ces produits. En Afrique, les lignes ferroviaires sont souvent dans un état pitoyable et font partie des soucis des gouvernements locaux ; la rénovation de ces chemins de fer ouvre la voie à la pénétration des produits chinois et ceux d’autres pays.

La Chine ambitionne d’ouvrir une nouvelle Route de la soie. Quel devrait être le rôle des lignes ferroviaires africaines dans cette gigantesque infrastructure ?

Effectivement. Il existe une ligne ferroviaire traversant l’Afrique d’Est en Ouest qui permettra de raccourcir le trajet maritime. Au lieu d’arriver au port de Tanger Med (Maroc), les marchandises chinoises arriveront par un des ports qui seront ouverts sur la façade orientale de l’Afrique.

Et qu’est-ce que les pays africains vont y gagner?

Si les pays africains instrumentalisent la présence chinoise, ils ont tout à y gagner. Ma conviction c’est que tous les pays africains ont la possibilité d’instrumentaliser cette présence. Certes, la Chine profite de sa relation avec les pays africains, mais ces derniers doivent mettre en place la bonne stratégie.

Le 25 février 2016, le ministère de la Défense chinoise a annoncé le lancement des travaux de la future base militaire navale chinoise à Djibouti. Est-ce une manière, pour la Chine, de sécuriser ses gigantesques investissements en Afrique?

Je ne distingue pas cette activité de celles des Américains ou des Français à Djibouti. Il est nécessaire d’avoir dans cette région un point d’appui à partir duquel on va pouvoir éventuellement participer à des opérations de sécurisation, indirectement, la Chine l’a déjà fait au Mali. Les entreprises étrangères ont dans les pays africains des sortes de vigiles pour sécuriser leurs sites. La Chine fait la même chose. C’est un comportement rassurant parce qu’il est comparable à celui des autres ; cela veut dire que les modes de fonctionnement sont les mêmes et obéissent à la logique de marché. C’est une innovation parce qu’on voyait toujours la Chine renfermée sur elle-même ; c’est aussi une façon de se noyer dans la masse.

Évoquons maintenant la relation commerciale entre la Chine et l’Afrique. On a constaté qu’au cours du premier semestre 2015, certains pays africains ont connu des difficultés financières après le ralentissement de la croissance chinoise à -7%. Peut-on parler aujourd’hui d’une China-dependance pour les économies du continent?

Il faut remonter toute la chaîne ; si la Chine est en panne, c’est certainement en partie de son fait, mais c’est aussi à cause de la situation des économies occidentales. La Chine est dépendante de l’Afrique et vice-versa. C’est une dépendance mutuelle. L’Afrique représente une opportunité considérable pour la Chine à divers titres. C’est un espace où la Chine apprend à rencontrer les autres, où elle fait connaissance de l’altérité économique. Elle apprend que ces personnes qu’elle considérait comme sous-développés ont mis en place un système économique et juridique qui est parfois mieux que chez elle.

Les Chinois y rencontrent aussi d’autres partenaires occidentaux qui sont sur place, et elle apprend à interagir avec ces entités. C’est un espace où elle mène des expériences. Donc il y a une espèce transfert de technologie qui se fait au profit de la Chine à travers l’Afrique. Le comportement de la Chine entre le début des années 2000 et aujourd’hui a considérablement évolué. Des entreprises ont très bien compris le bénéfice qu’elles pouvaient retirer d’une politique de RSE (ndlr, Responsabilité sociale de l’entreprise), selon la logique de marché. Et c’est ce que tentent de faire les concurrents occidentaux.

Du fait que la Chine peut fabriquer et vendre des produits de très bon marché, il existe pour elle un intérêt supplémentaire à être en Afrique pour vendre ces produits et favoriser sa croissance économique.

Concrètement, que gagne l’Afrique dans sa relation commerciale avec la Chine ?

Deux choses : être en mesure de réaliser à meilleur prix un certain nombre de projets, et surtout pouvoir trouver des financements que ne peuvent pas lui donner les pays occidentaux qui n’ont plus d’argent. Ceci ne pourra marcher que si l’Afrique a les techniques occidentales dont ne dispose pas la Chine. On constate, par ailleurs, une redéfinition des rôles avec la présence de grands concurrents de la Chine comme la Turquie, l’Inde, la Corée du Sud et le Brésil. Les pays africains ont donc une palette de choix et peuvent même nouer des relations avec des consortiums qui regroupent des entreprises issues de différents pays.

Quand vous avez affaire à une entreprise chinoise, elle n’est pas seule, elle a d’autres partenaires. J’avais fait un petit papier sur la présence chinoise dans les Balkans ; il apparaissait que les entreprises chinoises étaient toutes sollicitées par des entreprises européennes. Cette multiplicité d’acteurs est un atout pour l’Afrique et elle doit l’exploiter à travers la mise en place de stratégies de développement.

Est-ce qu’aujourd’hui les pays africains parviennent à exporter des produits vers la Chine ?

Très difficilement (il se répète). Les exportations les plus faciles sont les produits minéraliers et pétroliers. La structure des échanges entre la Chine et l’Afrique est semblable à celle qu’elle a avec les autres pays.

Qu’en  est-il  de  l’investissement chinois en Afrique ?

Il faut préciser que le montant de l’investissement chinois en Afrique représente environ 0,5% de l’investissement étranger mondial. C’est excessivement faible. Les gens confondent présence et investissement, ce n’est pas parce qu’une entreprise est présente qu’elle investit. Lorsque la Chine participe à la construction d’une autoroute, etc., elle n’investit pas, mais fournit une prestation de services en échange de laquelle elle est payée.

Lors du Sommet Chine-Afrique qui s’est déroulé fin décembre 2015 le Président chinois a annoncé une enveloppe de 60 milliards de dollars destinée à l’Afrique. De quoi s’agit-il concrètement ?

Il a annoncé qu’il débloquerait 60 milliards de dollars de ligne de crédit qui vont commercer et investir en Afrique. Autrement dit, c’est une façon de dire aux États africains : si vous voulez développer une telle activité, il faut choisir une entreprise chinoise. C’est un soutien au fonctionnement des entreprises chinoises pour leur permettre de mieux faire face à la conjoncture économique difficile.

Pourquoi la Chine privilégie-t-elle le soutien à ses entreprises au détriment de l’investissement en Afrique ?

D’abord parce que c’est beaucoup plus facile à faire. En réalité, la Chine ne se sent pas sûre en Afrique et cela est perceptible dans son rapport 2015 sur la situation de l’investissement direct à l’étranger (IDE). Elle exhorte ses entreprises à privilégier les contrats d’OPC (ndlr, l’ordonnancement, le pilotage et la coordination) aux contrats de BOT (ndlr, Build, Operate and Transfer), vu que pour ce dernier contrat vous n’êtes pas payé à la fin des travaux, il faut que vous rentabilisiez par votre propre exploitation le projet. En Algérie, pour le port de Cherchell, ils ont divisé le travail : vous avez une entreprise qui effectue les travaux et qui sera payée, et une autre qui va assurer la maintenance et l’opération et qui sera payée au fur et à mesure des services qu’elle aura rendus. La sécurité du projet économique chinois est garantie puisqu’il aura une rentrée d’argent dans trois ans. Il existe donc une méfiance sur l’absence réelle ou supposée de la sécurité dans les pays africains qui font que la Chine préfère des solutions de prestations de services plutôt que des solutions d’investissement. C’est cette démarche qu’elle applique en général en Afrique.

On constate que certains ressortissants chinois mènent une vie autarcique et entretiennent souvent des relations conflictuelles avec les populations locales. Le dialogue culturel constituera-t-il un facteur déterminant dans l’avenir des relations Chine-Afrique ?

Environ 200.000 travailleurs sous contrat qui sont envoyés par les Chinois dans les pays africains. Ils sont essentiellement en Algérie, en Angola et au Nigéria où on dénombre plus d’un tiers de cette main d’œuvre. Ils sont souvent de passage et logent dans des cantonnements qui sont en principe relativement proches des chantiers sur lesquels ils interviennent, leur contact avec la population locale est excessivement limité. En Algérie par exemple, c’est la façon avec laquelle les entreprises chinoises interagissent avec les populations qui déterminent ces relations. Leurs relations avec les locaux ne sont pas souvent aisées à cause notamment de l’expropriation de leurs terres par le gouvernement pour permettre à ces entreprises de s’implanter. La Chine a compris qu’il était nécessaire d’établir des ponts pour une meilleure relation avec les populations locales, à travers l’ouverture d’instituts Confucius pour toucher d’abord les intellectuels (qui pourraient passer 3 à 4 années en Chine pour mieux comprendre la culture chinoise), avant de s’adresser aux gens lambda, en général.