La Cap-Verdienne Cristina Duarte a été nommée le 4 juillet 2020, Conseillère spéciale des Nations-Unies pour l’Afrique par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Dans une interview exclusive qu’elle avait accordée à African Business Journal (ABJ) en 2015, l’ancienne ministre des Finances, de la Planification et de l’Administration publique du Cap-Vert de 2006 à 2016 et ancienne candidate à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) dévoilait notamment son programme pour accélérer la transformation structurelle du continent, les secrets de l’évolution de son pays qui était passé du statut de pays moins avancé à celui de pays à revenu intermédiaire, l’impact du commerce interafricain, ainsi que le rôle du secteur privé dans la croissance des économies africaines.

Vous êtes candidate à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Quel programme comptez-vous mettre en œuvre pour accélérer la transformation structurelle du continent ?

La Banque africaine de développement est devenue une référence internationale. Si on me fait confiance pour la diriger, je mettrais d’abord l’accent sur la consolidation des acquis à ce jour avec pour objectif construire une base solide pour relever les défis de l’avenir. Parmi les principaux domaines où je voudrais poursuivre et approfondir le travail en cours au sein de la BAD, je peux citer la construction d’infrastructures, le développement d’un secteur privé africain, la promotion de l’intégration régionale et la construction d’une économie verte. Concernant le programme de décentralisation en cours qui a permis à la BAD de se rapprocher de ses clients, je voudrais engager tous les actionnaires dans une réflexion sérieuse sur le coût/bénéfice de ce programme afin de le revitaliser et d’en faire un instrument d’amélioration de l’efficacité de la BAD.

Il y a aussi quelques domaines sur lesquels il est nécessaire de mettre l’accent afin d’assurer la transformation structurelle de l’Afrique. La Banque doit devenir le catalyseur de l’innovation et la créativité de l’Afrique afin de tirer profit de l’énorme potentiel de créativité et d’innovation de la jeunesse africaine. Je serais aussi particulièrement sensible à la problématique de la femme africaine car l’Afrique ne peut pas continuer à marginaliser dans le processus productif la moitié de sa population. Le financement du développement est un autre domaine où nous allons mettre l’accent. Nous allons développer des produits financiers nouveaux et innovants, pour mobiliser des fonds pour le continent, et nous allons travailler avec les pays et institutions africains sur les moyens de mobiliser davantage de ressources internes au sein du continent.

En outre, je mettrais l’accent sur l’efficacité organisationnelle. La Banque devra prendre en compte dans toutes ses dimensions, le thème de l’efficacité organisationnelle. Nous devons nous assurer que notre banque ne devienne une bureaucratie internationale. Nous devons intensifier l’adoption d’une gestion pluriannuelle axée sur des résultats avec une approche programmatique et avec un système permanent de suivi et d’évaluation. Avec ce souci d’améliorer l’efficience et l’efficacité organisationnelle, je donnerais la priorité à un aspect qui est critique pour la BAD, celui de la réduction des délais d’exécution des projets et de l’amélioration du taux de conclusion des projets. Pour cela nous devrons nous assurer dès le début de la qualité des projets en mettant en place des critères solides lors de l’identification et formulation de ces projets.

Nous donnerons aussi la priorité à la gestion des ressources humaines. L’atout principal de la BAD est la multi-culturalité et la compétence de son staff. Les défis qui nous attendent portent sur la manière d’obtenir le meilleur de chacun, d’attirer à la Banque les meilleures personnes des pays membres et de nous assurer les meilleures approches pour la gestion du staff. Nous devrons pour cela adopter les meilleures pratiques de gestion des ressources humaines et optimiser l’usage des technologies d’information.

Finalement, nous devons constamment réévaluer et consolider nos actions et réalisations pour que nous construisions sur les gains récents, tout en faisant des sauts précis et mesurables.

Il est de notoriété publique que la diplomatie et le lobbying sont très décisifs dans la pêche aux voix. Le poids diplomatique du Cap-Vert, un modeste pays dans la géopolitique africaine, ne risque-t-il pas de jouer en votre défaveur ?

Une élection pour la présidence de la BAD n’est pas une partie de pêche aux voix. Ceux qui vont choisir le Président de l’institution financière la plus importante du Continent auront à cœur de choisir la compétence, l’expérience et le meilleur profil pour les nouveaux défis de la BAD. En plus, en entrant dans cette compétition nous savions que nous avions des ressources limitées et un réseau diplomatique peu dense, mais nous savions aussi que nous étions un pays crédible qui a démontré que la disponibilité des ressources n’était pas la condition suffisante pour un pays pour se développer et même de gagner des compétitions. Sinon, ce petit pays insulaire et sahélien, au développement silencieux, ne serait pas passé en quelques années d’indépendance, du pays le plus pauvre d’Afrique à un Etat démocratique en voie de transformation socio-économique. J’ai accepté consciemment de rentrer dans cette compétition parce que je crois que l’Afrique peut mieux faire et que la BAD est un des meilleurs instruments de transformation de notre Continent.  Je suis convaincue que ma vision et mon agenda pour la Banque, mon profil, mon expérience dans les secteurs privés, publics et internationaux, seront à la fin ce qui comptera pour le choix du Président de la BAD et non le fait que je vienne d’un petit pays avec une capacité limitée en termes de lobby et de ressources.

Le secteur privé est devenu une composante essentielle dans le financement des infrastructures en Afrique. Quel type de partenariat envisagez-vous de mettre en place pour renforcer sa participation dans ces projets ?

Nous réalisons tous aujourd’hui que le déficit de l’Afrique en infrastructures est énorme et que ceci constitue la principale contrainte pour la croissance et la transformation structurelle du Continent. Il suffit de regarder, par exemple, le secteur de l’énergie. Moins de 20% en moyenne des africains ont accès à l’électricité et quand ils en ont accès, la fourniture est irrégulière avec des coûts élevés. On n’a qu’à visiter quelques villes en Afrique, où l’on trouve des quartiers où presque tous les ménages ont un générateur.  Les pertes, les inefficacités et les répercussions sur la santé sont énormes. Il a été dit que l’Espagne seule produit environ la même puissance que les 48 pays d’Afrique subsaharienne.

Nous devons, cependant, penser au-delà de l’infrastructure traditionnelle de routes, de l’eau, de l’assainissement et des aéroports dans le monde émergent. La nécessité d’infrastructures du savoir est maintenant cruciale. Sur les TIC, y compris les téléphones mobiles, nous avons fait des progrès significatifs. Mais la réalité est que nous continuons à la traîne quand on regarde la question de l’accès, la qualité, la fiabilité et les coûts. Notre infrastructure du savoir, y compris les réseaux numériques, les institutions éducatives et les réseaux de recherche sont confrontés à d’énormes déficits. Comment alors être compétitif dans ce que l’on appelle la nouvelle économie ou l’économie de la connaissance ?

En fait, pour moi, nous n’avons aucune autre option que d’engager le secteur privé dans le développement des infrastructures à travers des partenariats public-privé. Ceci permet d’assurer le partage des risques, du savoir-faire et d’apporter des capitaux du secteur privé pour résoudre les problèmes de société. C’est un domaine où la BAD peut également faire une différence et servir de catalyseur.

Pour moi, si nous voulons faire face aux principaux problèmes comme le déficit en infrastructures, le futur Président de la BAD devrait renforcer la composante banque d’investissement, ce qui veut dire introduire une culture de résultats, d’efficacité et de rigueur au sein de la Banque. Il faudrait aussi avoir dans la BAD un esprit de collaboration avec toutes les parties intervenant dans le développement de l’Afrique. Le projet Africa 50, mis en place par la BAD pour le financement des infrastructures en Afrique, est un excellent exemple du genre de programmes que je voudrais promouvoir. Nous avons besoin de ces initiatives. Nous pouvons travailler avec les banques africaines. Le réseau de banques africaines s’est densifié et celles-ci deviennent des acteurs importants dans le financement des infrastructures et le développement du secteur privé africain. La BAD se doit de travailler avec ces banques mais aussi avec les autres institutions africaines et régionales pour développer de nouvelles approches et nouveaux moyens de collaboration pour faciliter le développement. En plus la Banque se doit de renforcer sa fonction de conseils et de connaissance auprès des gouvernements africains pour qu’ils créent l’environnement propice au développement socioéconomique et à la transformation.

Vous occupez depuis 2006, le poste de ministre des Finances et du Plan. C’est durant votre mandat que le Cap-Vert est passé du statut de pays moins avancé (PMA) à celui de pays à revenu intermédiaire (PRI). Il a occupé en 2014 la première place en Afrique dans le classement de la bonne gouvernance et détient le 3e indice de développement humain (IDH) dans le continent derrière les Seychelles et l’Ile Maurice. Quels sont les secrets de cette réussite ? Quel est le modèle économique du Cap-Vert? Comment pouvez-vous transposer cette réussite à l’échelle continentale à travers la BAD ?

Le succès de Cabo Verde est le fruit de la consolidation permanente des institutions nationales démocratiques et d’une vision claire et partagée de tous les acteurs nationaux de développement portée par des leaders politiques qui aiment leurs populations et sont engagés pour construire le bien-être des capverdiens. Notre modèle économique s’est basé sur la priorité donnée à l’utilisation des ressources humaines comme principal facteur de création de richesses et sur le fonctionnement des institutions.

Mon action comme ministre des Finances et de la Planification pendant près de dix ans a été de formuler et mettre en œuvre des politiques publiques qui permettent la réalisation de la vision que nous nous sommes donnée en tant que société. Ceci a nécessité de la consistance dans la mise en œuvre des politiques publiques, des réformes pour rechercher plus d’efficacité dans l’action des institutions, de mise en place de mécanismes de suivi et d’évaluation de nos décisions, d’une préoccupation constante pour le bien commun et beaucoup de travail de la part de tous. Je crois que cette expérience de Cabo Verde qui est basée sur la bonne gouvernance est transposable dans beaucoup de pays qui ont plus de ressources que notre pays d’autant plus que les populations africaines aspirent d’être mieux gouvernées.

La BAD est un instrument important qui doit devenir le partenaire de choix des pays africains. Mon point de vue est que nous pouvons construire la BAD en tant que banque de connaissances qui est capable de jouer un rôle essentiel dans le soutien des pays d’Afrique grâce à des services consultatifs, en fournissant une plate-forme pour partager des idées et aider les pays africains à apprendre avec l’expérience des autres. Pour moi, ce n’est pas simplement une question de tirer profit de l’expérience de Cabo Verde, mais mettre en place des plates-formes de partage entre tous nos pays et à promouvoir l’apprentissage.

Le tourisme, qui représente 30% du PIB, est le poumon de l’économie capverdienne. Prévoyez-vous de miser sur d’autres secteurs d’activité comme l’industrie ou l’agriculture (le Cap-Vert importe 85% de ses besoins alimentaires) pour diversifier vos sources de revenus ?

Effectivement, le tourisme est  actuellement la principale activité économique et pour éviter une trop grande dépendance par rapport à un secteur qui dépend de beaucoup de facteurs externes, le Gouvernement a adopté une stratégie de transformation qui consiste en le développement de clusters pour tirer profit de la position géostratégique de Cabo Verde. Il s’agit de créer des avantages compétitifs dans les secteurs où nous avons des avantages comparatifs. D’abord, dans le secteur du tourisme, nous n’en sommes qu’à nos débuts car notre potentiel touristique et notre proximité des marchés émetteurs font de ce secteur un grand moteur de croissance. Mais il y a d’autres moteurs de croissance que nous sommes en train de développer. Par exemple nous sommes un petit pays insulaire mais il nous faut tirer profit du fait que nous avons près de 800.000 kilomètres carrés d’océan sous notre contrôle. Nous sommes, par exemple en train de travailler pour transformer Cabo Verde en un hub maritime, avec des services de pêche océanique, de tourisme de croisière, de recherche océanique, etc. Il y a aussi les industries créatives pour tirer profit de nos riches traditions culturelles venant du fait que le peuple capverdien est le résultat du croisement de différents peuples et dont la musique est l’une de ses manifestations.  L’agriculture, qui a toujours été un problème au Cabo Verde à cause du manque de pluies (une moyenne de 250 mm par an) ayant entrainé de grandes famines dans notre histoire, est aujourd’hui source de développement. Les investissements faits dans les barrages pour éviter que l’eau des pluies se déverse dans l’océan, la maîtrise de l’irrigation goutte à goutte par les paysans et l’introduction de la culture sous serre et de l’hydroponie permet à Cabo Verde de réduire grandement sa dépendance alimentaire. Demain, le dessalement de l’eau de mer en utilisant les énergies renouvelables sera une autre opportunité pour réduire la dépendance alimentaire. Je ne vais pas citer tous les éléments de notre stratégie de transformation et les sources de croissance potentielle mais je peux vous dire que nous sommes sur la bonne voie en ce qui concerne la diversification de notre économie.

Les transferts de la diaspora capverdienne   représentent 9,7% du PIB. Quel peut-être l’apport des expatriés capverdiens dans l’émergence de leur pays et de la diaspora africaine en général dans l’essor du continent ?

La diaspora capverdienne a joué jusqu’à maintenant un rôle important dans le développement de Cabo Verde. Elle a été porteuse de progrès et de modernisation de la société en même temps qu’elle a permis par ses transferts aux familles de lutter contre la pauvreté. Aujourd’hui son poids relatif dans l’économie a baissé parce que notre base économique s’est amplifiée. La culture capverdienne s’est maintenue dans notre émigration et nous sommes en train de nous adapter à l’évolution démographique de notre émigration. Aujourd’hui nous avons beaucoup de cadres intégrés dans les pays d’accueil qui sont sources de transfert de connaissances et même de réseaux d’influence politique et économique. C’est important dans un monde plus global et compétitif. Nos pays africains doivent tous s’adapter à cette nouvelle diaspora qui est en train d’émerger et une institution comme la BAD doit en tenir compte soit pour y puiser les compétences dont elle a besoin, soit en aidant à réduire le coût des transferts d’argent ou de trouver de nouvelles voies pour les réengager avec leur pays d’origine ou de promouvoir le développement socio-économique. Au Cabo Verde, nous sommes conscients de l’importance de notre Diaspora et nos politiques publiques en tant que Nation sont de nous assurer qu’elle soit engagée et qu’elle participe pleinement à la vie nationale.

Votre pays est largement dépendant de l’extérieur. Les IDE représentent moins de 4% de son PIB. L’Espagne et le Portugal sont vos principaux clients avec des échanges commerciaux estimés respectivement à 66,7% et 16,5%. Une éventuelle baisse des investissements de ces deux pays touchés par la crise économique pourrait avoir des incidences sur votre croissance. Comment pensez-vous diversifier vos partenaires pour être à l’abri d’éventuels risques ?

La réduction de l’IDE est déjà une réalité. Depuis 2008 de nombreux investissements prévus dans le secteur du tourisme ne se sont pas réalisés. En même temps l’aide publique au développement a diminué avec l’argument que Cabo Verde avait quitté la liste des pays moins avancés. Il a donc fallu dans une première étape réduire les inefficiences de notre système économique comme l’élimination des subventions et l’amélioration du système fiscal. Nous avons initié un processus de diversification de notre économie pour réduire notre dépendance vis-à-vis du tourisme en même temps tout en cherchant  à diversifier les pays de provenance des touristes. La question de la diversification de nos partenaires est un problème permanent à Cabo Verde. Dès l’Indépendance, nous nous sommes rendus compte qu’un petit pays dépendant de l’aide publique au développement peut réduire cette dépendance en diversifiant ses partenaires. C’est ce qui a permis à Cabo Verde d’avoir sa propre politique monétaire et d’investissements publics et de maintenir son indépendance intellectuelle et ce, même en étant un petit pays. Aujourd’hui, nous faisons face à de nouveaux défis puisque les sources traditionnelles d’investissements sont en crise alors que d’autres ont des liquidités pour investir. Il nous faut nous adapter en permanence. C’est ce que nous sommes en train de faire en développant le concept de l’IDA (Investissement Direct Africain) car nous considérons que l’Afrique a des sources de financement propre dont beaucoup sont inexploitées. Le rôle de la BAD sera justement de mettre en valeur ces gisements de financement insuffisamment exploités.

Selon le FMI, l’aide publique au développement pourrait passer de 13,3% à 4,9% du PIB capverdien en 2016 et la dette publique du pays atteindrait 99% en 2016. Avez-vous pris en compte ces prévisions dans vos projets de développement ? Comment comptez-vous surmonter cette contrainte ?

La réduction de l’APD était prévisible depuis la graduation de Cabo Verde de la liste des pays à revenu intermédiaire. L’augmentation de l’endettement a été le fruit d’une politique consciente vu la réduction concomitante de l’APD et de l’IDE à partir de 2008. Cet endettement s’est fait en ayant recours uniquement à des prêts concessionnels. Nous n’avons pas eu recours au marché financier et tous nos indicateurs indiquent que notre service de la dette est soutenable. Nous avons eu donc raison de le faire puisque cela nous a permis de construire des infrastructures, d’améliorer la compétitivité de notre économie et de maintenir l’activité économique et les emplois. Nous sommes très conscients qu’il faut privilégier maintenant l’investissement privé et pour cela nous avons tout fait pour améliorer le climat des investissements à Cabo Verde. Il reste maintenant au secteur privé, avec l’aide de l’Etat d’identifier les opportunités d’investissements, ce qui veut dire trouver des marchés porteurs. Dans ce cadre le Gouvernement vient de mettre sur la table un ample programme de privatisation et de PPP pour attirer des partenaires stratégiques avec des capitaux, know-how et marché, dans des secteurs clés de l’économie.

Lors d’un forum organisé à Bercy par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), vous aviez préconisé que l’Afrique accentue davantage les échanges économiques Sud-Sud pour réduire sa dépendance à l’aide extérieure. Est-ce que vous privilégiez toujours cette approche «Trade, not Aid» ?

Je continue à penser, comme l’a démontré une récente étude de la Commission économique pour l’Afrique, que le Continent africain a des ressources financières qui ne sont pas suffisamment exploitées et même gaspillées. L’Afrique se doit de montrer à ses partenaires traditionnels qu’elle est disponible à faire de son côté des efforts pour mobiliser sa propre épargne pour investir dans son développement. Ce faisant elle peut mieux favoriser les échanges économiques intra-africains, mais aussi permettre aux entreprises africaines de faire des économies d’échelle qui leur permettraient d’être plus compétitifs sur le marché africain et même sur le marché global. En même temps, la croissance des économies africaines qui en résulterait permettra la croissance du marché africain. C’est donc une solution où tout le monde gagne.

Ceci dit, je ne suis pas favorable à l’expression «Trade Not Aid» parce qu’elle tend à opposer deux concepts qui ne sont pas auto-exclusifs. Nous avons besoin des deux. Nous avons besoin de construire notre capacité de produire et de faire du commerce. Dans ce processus, l’aide peut être utile. Le développement est un processus qui doit à chaque moment choisir les ressources qui sont les plus adaptées ou appropriées et disponibles. De mon point de vue l’aide doit servir à construire des capacités et faire croitre la possibilité des pays africains à être capables de produire et d’être compétitifs sur le marché mondial. Pour moi ce concept «Trade Not Aid» tend à exclure la responsabilité des Africains pour leur développement. Il appartient aux africains de formuler leur vision et leur stratégie et faire le choix des moyens qu’ils doivent utiliser.

Niché entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques, le Cap-Vert nourrit-il des ambitions pour devenir un hub économique, à l’image de Singapour porte de l’Asie du Sud-est, pour faciliter les échanges économiques entre ces trois continents ?

Comme je l’ai dit, Cabo Verde veut valoriser sa position géostratégique et transformer ses avantages comparatifs en avantages compétitifs. Cabo Verde est un pays avec un micromarché. Il se doit donc de par sa position géographique à la croisée de trois continents de servir de nœud de connectivité entre ces trois grands marchés en s’ancrant sur son Continent, l’Afrique, qui est de loin le continent avec le plus grand potentiel de croissance. Il nous faut aussi remarquer que d’autres pays de la sous-région ambitionnent également de devenir un hub économique. Il nous faut donc trouver des niches où nous pourrons être plus compétitifs. Ceci a été l’objet de notre stratégie de transformation qui en plus d’identifier les clusters qui peuvent être mis en œuvre, met l’accent sur la nécessité d’une bonne gouvernance, d’un système éducatif performant, d’infrastructures adaptées et compétitives et d’un secteur privé entreprenant. La stabilité sociale et politique, le bon fonctionnement des institutions et le faible niveau de corruption créent des avantages compétitifs supportant ainsi notre ambition de devenir un hub économique et culturel. 

Entretien réalisé par Elimane Sembène