La fuite des cerveaux plus connue sous l’anglicisme «Brain-Drain» affecte considérablement l’Afrique. Elle assiste impuissamment à l’exode massif de ces «fils» sur qui elle a tant investi tout en espérant des lendemains meilleurs. Les statistiques sont effarantes. Chaque année, 23.000 diplômés quittent le continent, en majorité des médecins et des personnels de santé, dont l’exode coûte 2 milliards de dollars par an à huit pays africains, dont l’Éthiopie, le Nigéria, l’Afrique du Sud, et le Kenya. Quand on sait que la formation d’un étudiant coûte 15.000 dollars au Kenya, et celle d’un docteur 40.000 dollars, le calcul est vite fait.

Essayer de démontrer à l’Éthiopie les inconvénients de cette hémorragie intellectuelle, c’est prêcher un convaincu, elle qui a perdu 75% de son personnel qualifié entre 1980 et 1991. Le Ghana émarge sur la même liste ; chaque année, 47% de ses diplômés quittent le pays, selon la Banque mondiale. Le tableau est tout aussi sombre en Afrique de l’Ouest, où entre 1990 et 2000, la migration des diplômés de l’enseignement supérieur a augmenté de 123% contre 53% pour les migrants non qualifiés. Dans un rapport publié en 2004, l’Unesco révélait à l’époque qu’il existait plus de cadres africains qui travaillent aux États-Unis qu’en Afrique.
Les effets néfastes de la fuite des cerveaux sont indéniables, on n’en disconvient point. Plusieurs rapports et études l’ont confirmé. Toutefois, ce phénomène ne doit pas uniquement être analysé sous cet angle. Une autre grille de lecture s’impose. La fuite des cerveaux ne doit pas exclusivement renvoyer à un cliché négatif dans l’imaginaire populaire. Cette valse est certes intrigante, mais il n’empêche qu’elle comporte des avantages non négligeables qui méritent d’être soulignés.

Le transfert de capitaux est une illustration plausible. La diaspora africaine, qui regroupe plus de 30 millions de personnes, est aujourd’hui un des plus grands vecteurs de développement de l’Afrique. Elle a envoyé en 2010, 40 milliards de dollars sur le continent, soit 2,6% de son PIB, selon la Banque mondiale.

De nombreux ressortissants africains spécialisés dans plusieurs domaines ont créé des réseaux diasporiques dans l’hexagone pour développer des projets de développement à dimension sous-régionale ou continentale. Ils peuvent même favoriser des transferts de compétences via différentes navettes. Le réseau SANSA (South African Network of Skills Abroad), qui rassemble plus de 2.500 membres répartis dans 65 pays du monde, peut être cité en exemple.
Certains chercheurs et autres scientifiques qui ont choisi de poursuivre leur carrière hors de leurs frontières mènent des recherches sur des problématiques intrinsèquement liées au continent pour améliorer la santé des populations. Martial, actuel directeur du centre de recherche à l’Université de Yale  aux États-Unis, qui effectue des recherches pour diminuer la vulnérabilité des femmes noires atteintes de bilharziose par rapport au VIH Sida, en fait partie.

Des initiatives essaiment aussi dans le domaine de l’entrepreneuriat. Des étudiants de l’ESCP Europe ont créé en 2003 l’African Business Club (ABC), qui a initié depuis 2009 ABC Innovation, une compétition qui vise à mettre en avant les porteurs de projets innovants du continent, qu’ils soient africains ou non. La start-up sénégalaise «Niokobok» («On est ensemble» en Wolof) a mis en place un site de vente en ligne et de livraison de marchandises pour les expatriés sénégalais résidant principalement en France, en Italie, aux États-Unis et au Canada. La liste des expériences est loin d’être exhaustive.

Ces «diasporas du savoir» se sentent redevables à leurs origines. Cette intelligentsia africaine a certes quitté le continent, mais ne l’a pas délaissé. Leurs investissements rivalisent même souvent avec ceux de certains bailleurs internationaux. Un «brain-drain» qui se transforme en «brain-gain».