Les trois rapports annuels de l’Inspection générale d’État (IGE) pour les années 2016, 2017, 2018-2019 viennent d’être rendus publics. Contrairement au slogan de campagne du régime au pouvoir qui a prôné à cor et à cri « une gestion sobre et vertueuse », ils révèlent une orgie « autorisée » au sommet de l’État.

Manquements récurrents, irrégularités persistantes, non-respect des dispositions législatives et règlementaires, carences dans la comptabilité, dans l’exécution des attributions… sont revenus, tel un leitmotiv, dans les rapports de l’IGE de 2016, 2017 et 2018-2019. Attendus depuis si longtemps, sachant que le rapport public sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes est un exercice annuel qui permet à l’IGE de passer en revue la gouvernance à la fois administrative, économique et financière de l’Administration centrale ainsi que des administrations décentralisées. Il en ressort que jusqu’à présent les normes en vigueur au Sénégal ne font pas l’objet d’une plus grande appropriation.

Si l’Administration centrale et les organismes publics étaient un seul et même individu, accablé devant un conseil de discipline, il dirait, tel ce soldat de première classe repris maintes fois pour des fautes de jeunesse : « Tout ça, c’est moi ?!!! ».  Jugez-en vous-mêmes, tout au long des documents qui nous sont parvenus, après les brefs rappels de fonctionnement et de règlementations, il est question d’inadéquation de missions, de chevauchement de missions, d’irrégularités dans la gestion des personnels (flopée de contractuels), de défaillances dans l’exécution des dépenses, de structures inopérantes, de dysfonctionnements, de non-respect des calendriers, de manque de transparence…

Un développement bridé

Certes, force de proposition, l’IGE fait des recommandations et suggestions, notamment dans un Memento final, thématique et didactique à souhait, mais force est de constater que ces rapports pullulent de critiques négatives. Pour un pays en voie de développement, toutes ces entraves pondèrent son avancement, avec des programmes budgétivores de Gestion des déchets solides urbains de la région de Dakar (PGDSU), de Renforcement et de consolidation des acquis (PRCA) qui empiètent les uns sur les autres, errements dans l’acquisition et l’utilisation de véhicules administratifs. Pas une fois, il n’est fait cas d’optimisation de ressources publiques, de pertinence stratégique, de performances d’efficacité et d’efficience.

Les dysfonctionnements ne manquent pas autant en gestion administrative qu’en gestion économique et financière au sein de plusieurs administrations. Ils ont pour nom des organigrammes non règlementaires (sur Rapport 2016, l’inadéquation à la Direction de la Surveillance et du contrôle de l’occupation du sol et sur celui 2017 aller vers un organigramme-type d’une DAGE sous la coordination du BOM), des directions qui ont été fusionnées continuent d’exister séparément (Direction des Eaux, Forêts et Chasses et Direction de la conservation des sols), des structures inopérantes ou obérées (Bureau Matériel et Sécurité à la DEFCCS, Commission de suivi de la gestion du Patrimoine de l’État à l’étranger)… Sur le rapport 2018-2019, il est fait état du Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal Émergent (BOS), logé à la présidence et doté d’une autonomie de gestion. Pourtant sur toute la phase I du PSE, les membres du Conseil d’orientation stratégique (COS) (formellement institué que le 27 mai 2015) ne se sont réunis qu’une seule fois le 22 mars 2014. A ce niveau l’absence de référentiel commun a été déplorée. Quant aux entités décentralisées, telles que CETUD et SAPCO des dysfonctionnements ont été constatés dans le rapport 2018-2019 de l’IGE.

Et des conflits d’intérêts

La continuité de l’État, principe sacro-saint de la République et gage de qualité du service public, est bafouée. Les commissions des marchés de certains ministères, bien que régulièrement constituées, connaissent de nouvelles compositions au gré des changements de ministres.  A titre d’exemple dévoile l’IGE, sur 2012, 03 commissions différentes au ministère chargé de l’Environnement. Ce n’est pas tout, des directions de l’Administration centrale continuent de payer des factures en espèces, à l’insu du ministère des Finances, la comptabilité des matières appartenant à l’État laisse à désirer, ou pire il est à déplorer une gestion indue des recettes, dans la mesure où aucune recette ne peut être liquidée ou encaissée pour le compte de l’État sans avoir été autorisée dans les conditions prévues par la loi organique relative aux lois de finances.

A cela s’ajoute des cas de conflits d’intérêts, avec l’ouverture non autorisée de comptes bancaires d’une Direction de l’Administration centrale. Le 15 juillet 2013, une Association reconnue d’utilité publique, sous tutelle du département ministériel auquel est rattachée cette direction y vire 275 millions f CFA au titre d’un appui budgétaire !  Quelque 150 millions seront remis à une association dont l’ancien président était le ministre d’alors…

Pièces comptables justificatives, que nenni !

Quant aux missions des agences spécialisées, telles que l’Agence nationale de la Grande Muraille Verte (Angmv), l’Agence nationale de la recherche scientifique appliquée (Anrsa)… les réalisations frisent epsilon, contre des dépenses (Anrsa) sans pièces justificatives à hauteur de 891, 208 millions f CFA et sur un autre décaissement injustifié de 139,325 millions f CFA. A l’Agence nationale des Ecovillages (Anev), ce sont 20,560 millions de billets d’avion indûment supportés au profit du département de tutelle… le même reproche a été fait au Fonds d’impulsion de la recherche scientifique et technique (FIRST) qui n’a usé que 67% de son budget en dépenses de fonctionnement, le reste a servi dans du superflu, hors objectifs, tout comme au Fonds des Publications scientifiques et techniques (FPST)….  A tout cela s’ajoute des conflits de compétences entre responsables financiers, des cas de non reversement des impôts, taxes et diverses charges sociales, la liste est loin d’être exhaustive.

De 2008 à 2013, l’Angmv n’a réalisé que 27 850 ha de reboisement pour une Projet de Grande Muraille Verte de 817 500 ha, soit 3,41% de taux de réalisation en 5 ans et une moyenne annuelle de 5 254 ha ! L’IGE note qu’à ce rythme, il faudrait 95 ans pour réaliser la partie sénégalaise de cet important projet ! D’autres structures, telles que l’Autorité de régulation des Télécommunications et des postes (ARTP), l’Ageroute, l’Agence nationale de la Maison de l’Outil (Anamo),

La Santé, parent-pauvre du budget

Les critiques récurrentes contre le système hospitalier, à savoir un hôpital public insensible, manquant de moyens et de ressources, peu attentif aux usagers et aux citoyens sont toujours à l’ordre du jour en 2020. En témoigne cette dame qui accoucha aux portes de Maguilène Senghor… la réforme hospitalière, introduite par 2 lois complémentaire, à savoir la loi 98-08 du 02 mars 1998 portant réforme hospitalière et la loi 98-12 du 02 mars 1998 relative à la création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé (EPS), est restée lettre morte. Pire jusqu’à présent, en cette période de pandémie Covid-19, des conflits sociaux, l’absence de dialogue social, l’absence d’une vision sociale partagée, des malades exclus des soins et de la prise en charge, voire parfais « séquestrés », en attente du paiement de leurs frais … un surendettement chronique des hôpitaux, des manquements relatifs au fonctionnement des EPS sans visions ni plans stratégiques, un service informatique central inexistant pour sécuriser et pérenniser l’information, une appréciation non exhaustive des recettes, une comptabilité approximative, en dépit de SYCOHADA… Les auteurs du rapport 2016 ont alors exhorté de veiller à la régularité des réunions du Conseil d’administration des EPS. Des réunions qui doivent se tenir au moins 3 fois par an, en session ordinaire et, en cas de besoin, en session extraordinaire. Quant aux Commissions médicales d’établissements que les médecins jugent comme une excellente initiative de la réforme hospitalière, hélas confrontées à des contraintes budgétaires et financières, leurs mesures ne sont généralement pas appliquées. Même son de cloche au niveau des Commissions techniques d’établissement (CTE) qui rencontrent de nombreux dysfonctionnements dans u climat social souvent hostile.

Gouvernance des collectivités locales, le tournis d’un Acte III

La réforme, baptisée Acte III de la Décentralisation, divise les villes en communes d’arrondissement et assigne aux villes un rôle de mutualisation des compétences de plusieurs communes présentant une « homogénéité territoriale »… des communes constituées de quartiers et/ou de villages.  Elle a permis la mutation des Collectivités locales (CL) en Collectivités Territoriales. Malheureusement derrière cette nouvelle organisation, beaucoup de dysfonctionnements : la plupart des commissions ne sont pas fonctionnelles, l’absentéisme des conseillers aux 4 sessions ordinaires, des manquements dans la publicité et l’archivage des délibérations, des bureaux municipaux et autres structures, telles que l’inspection générale des services municipaux, moribonds voire inopérants, défaut de GPEC… L’IGE a constaté l’absence courante d’outils de gestion stratégique ou opérationnelle dans le fonctionnement des services municipaux (à Guédiawaye, 80% du personnel n’a pas un niveau supérieur au Brevet de Fin d’Etudes Moyennes), un cadre de travail vétuste peu valorisant et qui nuit à l’image de la localité. Pire encore, la poursuite de certaines activités dans les anciens centres principaux d’état civil des villes fait peser des risques sérieux sur la validité des actes délivrés, sur la fiabilité du système d’état-civil et sur la sécurité nationale. Quant aux compétences transférées (Domaines, Environnement et gestion des ressources naturelles, Santé, population et action sociale, Jeunesse, sports et loisirs, Culture, Education, alphabétisation, promotion des langues nationales et de la formation professionnelle, Planification, Aménagement du territoire, Urbanisme et habitat), excepté le Plan d’investissement communal, aucun pilotage stratégique n’a été constaté. Relativement à la gouvernance financière, des défauts persistent dans le respect des règles budgétaires, aussi et surtout, déjà pour 2016, l’IGE recommandait la prise en charge des factures afférentes à l’éclairage public. De l’avis de cette institution, elle doit faire l’objet d’un règlement définitif entre l’Etat et les Collectivités locales.

Encadré I : Tableaux des prévisions et des réalisations de recettes (en millions f CFA)

Commune de Fatick

ANNEE PREVISIONS REALISATIONS TAUX DE REALISATION
2011 860,666 687,610 79,9%
2012 778,455 519,429 66,7%
2013 1 100,819 401,286 36,4%
2014 827,672 302,560 36,5%

 

 

Commune de Guédiawaye

ANNEE PREVISIONS REALISATIONS TAUX DE REALISATION
2011 2 310,817 1 408,541 61%
2012 2 719,635 1 556,483 57,2%
2013 3 234,059 1 591,300 49,2%
2014 (1) 2 824,058 1 384,382 49%
2014 (2) 1 915,330 819,652 42,8%

 

(Source : IGE- (1) et (2) sur 2014, deux budgets ont été exécutés dans la ville de Guédiawaye et d’autres encore. Le premier avant les élections départementales et communales du 29 juin. Suite à l’installation des nouveaux organes, un second a été soit adopté, soit réglé et rendu exécutoire par le préfet).

Aussi, c’est juste une part marginale qui a été réservée à l’investissement.

Encadré II : Investissement /Prévisions de recettes budgétaires

ANNEE/C. Local. VILLE DAKAR GUEDIAWAYE PIKINE THIES
2011 38,7% 9,6% 7,8% 16,4%
2012 46,5% 14,4% 3,74% 14,54%
2013 46,3% 21,8% 1,19% 11,98%
2014 42,9% 17,9% 2,69% 9,56%

 

(Source : Rapport IGE 2016)

Sur l’exécution budgétaire et la reddition des comptes, les inspecteurs d’état ont constaté des anomalies récurrentes dans l’exécution des recettes et des dépenses, notamment en termes de manquements des services d’assiette, des comptables et des organes des CL (recouvrement en deçà de 50% dans des communes comme Guédiawaye), d’ineffectivité d’arrêtés annuels de comptes (à Thiès, depuis 2011, sous prétexte que les comptes de gestion n’ont pas  été transmis par  le percepteur).

Sur l’exécution des marchés publics, il a été déploré la longueur des procédures de passation (travaux de réhabilitation d’une mosquée, entre la publication d’appel d’offres (AO) le 08 avril 2014 et la notification le 28 avril 2015, il y a eu un an, tout comme pour la fourniture de lait aux élèves des écoles élémentaires entre 11 avril 2012 et 1er février 2013…). A ces retards préjudiciables à l’efficacité de la gestion municipale s’ajoutent des adjudicataires défaillants, des abus et gaspillages dans la gestion du carburant des CL, un patrimoine immobilier non maîtrisé ou irrégulièrement occupé par des tiers ou non encore régularisé (tous les titres fonciers des CL ne sont pas remis aux receveurs municipaux, les maires doivent avoir de la Conservation foncière les duplicata des titres, introduire des demandes de cession suite à l’avènement de l’Acte III de la décentralisation).

Nous sommes en 2020, la Covid-19 continue de sévir, dans un pays aux ressources limitées, avec de surcroît une économie à plus de 90% informelle. Peut-on continuer de compter sur une Administration centrale qui tire vers le bas, tant sa gouvernance teintée de concussion laisse à désirer ? L’accent doit être sur cet aspect, afin que les règles soient respectées et appliquées. Les observateurs attendent des sanctions aux contrevenants, loin de vœux pieux qui appellent une introspection.

Un élargissement de l’assiette fiscale, via la promotion de l’entrepreneuriat (création de PME, PMI, TPME, de Startups, adoption du Statut Auto-Entrepreneur), boosterait des recettes encore insuffisantes. A l’Auto-Entrepreneur, l’acte de création d’entreprise est facilitée au maximum (il le fait sur une plateforme internet), n’est pas tenu de tenir une comptabilité et ne déclare son chiffre d’affaires que tous les trimestres (une taxe de 1 à 2% lui ait assujetti).

 

Daouda MBAYE