Par Jemimah Njuki, directrice du Département femmes, genre et société civile de la Banque africaine de développement (www.AfDB.org), et Ndey Oley Cole, chargée de programme supérieure.
La campagne des 16 jours d’activisme contre la violence sexiste est une campagne internationale menée par les Nations unies pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles. Du 25 novembre au 10 décembre, la campagne de 16 jours de cette année se concentre sur les moyens de mettre fin à la violence numérique à l’encontre des femmes et des filles. Jemimah Njuki, directrice du Département femmes, genre et société civile de la Banque africaine de développement, et Ndey Oley Cole, chargée de programme principale, présentent cinq mesures audacieuses pour éradiquer la violence numérique sexiste et libérer le potentiel numérique de l’Afrique.
Chaque jour, d’innombrables femmes et filles africaines sont victimes de harcèlement, de menaces et d’abus en ligne, des actes qui les réduisent au silence et limitent leur participation à l’économie numérique. En Afrique subsaharienne, 34 % des jeunes de 18 à 24 ans subissent du cyberharcèlement et, selon ONU Femmes, 28 % des femmes de cette région ont été victimes de violences en ligne. Ces chiffres soulignent que les violences numériques sexistes ne sont pas un problème abstrait : elles constituent un obstacle omniprésent à l’égalité, aux opportunités et à l’autonomisation.
Alors que l’Afrique accélère sa transformation numérique, nous devons veiller à ce que sécurité et inclusion aillent de pair. Mettre fin aux violences numériques sexistes est essentiel pour parvenir à une croissance inclusive, au respect de la dignité humaine et à la réalisation des promesses de l’avenir numérique de l’Afrique. Voici cinq mesures audacieuses à prendre pour rendre les espaces en ligne plus sûrs et plus favorables à l’autonomisation des femmes et des filles.
1 Promulguer des lois complètes et intégrant la dimension genre dans le cyberespace
De nombreux pays africains ne disposent toujours pas de loi définissant et criminalisant clairement les formes numériques de violence sexiste. Lorsque des lois existent, leur application laisse souvent à désirer et les victimes bénéficient fréquemment d’une protection limitée. Les gouvernements africains doivent élaborer et appliquer des lois qui reconnaissent la violence numérique sexiste comme un crime, garantissent des protections centrées sur les victimes et favorisant la coopération transfrontalière pour lutter contre les abus numériques transnationaux. Les partenaires au développement, notamment la Banque africaine de développement, sont prêts à soutenir les réformes juridiques par le biais d’une assistance technique et d’un dialogue politique.
2 Intégrer la sécurité en ligne dans les stratégies de développement numérique et national
Malgré les investissements dans les infrastructures à haut débit et les compétences numériques, de nombreuses stratégies en matière de technologies de l’information et de la communication négligent la sécurité en ligne, en particulier pour les femmes. La politique nationale de cybersécurité du Rwanda montre comment la sécurité en ligne peut être intégrée aux programmes de développement nationaux. Les gouvernements doivent imposer une approche de « sécurité dès la conception », financer l’éducation du public aux droits numériques et inclure la sécurité numérique dans les programmes scolaires. L’alignement des investissements dans les technologies sur des politiques sûres et inclusives garantit que l’économie numérique profite à tous.
3 Responsabiliser les plateformes technologiques
Les plateformes technologiques tirent profit des utilisateurs africains, mais ne proposent souvent qu’une modération minimale de contenu adapté aux réalités culturelles, des mécanismes de traitement des plaintes limités et une protection insuffisante des femmes. La loi portant modification du Film and Publication Board d’Afrique du Sud constitue une référence en matière de transparence, de responsabilité et de retrait rapide des contenus. L’Afrique a besoin d’un cadre régional pour définir des normes minimales de sécurité, appliquer la réglementation des contenus et créer des systèmes de traitement des plaintes en temps réel. Les plateformes doivent faire de la sécurité des utilisateurs une priorité dans le cadre de leur expansion à travers le continent.
4 Investir dans l’innovation menée par les rescapées et les solutions numériques sensibles au genre
Les femmes africaines ne sont pas seulement des victimes ; elles sont aussi des innovatrices qui créent des solutions basées sur la technologie. Des organisations comme Pollicy en Ouganda et le Center for Information Technology and Development (Centre pour les technologies de l’information et le développement) au Nigeria développent des outils de sécurité numérique, forment les communautés et défendent les droits en ligne. Un financement ciblé peut amplifier ces efforts. Par exemple, le Fonds fiduciaire de coopération économique Corée-Afrique de la Banque africaine de développement, en partenariat avec ONU Femmes, soutient un projet en Côte d’Ivoire qui autonomise les femmes et les filles défavorisées grâce à l’éducation et aux technologies numériques, améliorant ainsi leur accès à des emplois décents et à des opportunités entrepreneuriales. Investir dans des initiatives menées par des survivantes permet non seulement de protéger les femmes, mais aussi de renforcer l’écosystème de l’innovation et du changement social.
5 Construire un système panafricain de données sur les violences numériques sexistes
On ne peut résoudre un problème que l’on ne pas mesurer. À l’heure actuelle, il n’existe aucune donnée standardisée à l’échelle du continent sur les violences numériques sexistes, et peu de données nationales désagrégées. L’initiative « Women Count » d’ONU Femmes montre comment des données rigoureuses et intégrant la dimension de genre peuvent impulser des changements politiques. L’Afrique a besoin d’une stratégie continentale s’appuyant sur une collecte de données éthique, des indicateurs désagrégés par genre et un accès ouvert pour la société civile. Le Portail de données sur le genre de la Banque africaine de développement (https://apo-opa.co/4aluszz), le Rapport analytique de l’Indice de l’égalité du genre en Afrique (https://apo-opa.co/496KBqp) et le renforcement des capacités des instituts nationaux de la statistique ont déjà permis de réaliser des progrès. L’intensification de ces efforts permettra aux décideurs politiques et aux communautés de répondre efficacement à l’ampleur et aux tendances des violences numériques sexistes.
Un appel à l’action
Mettre fin aux violences numériques sexistes est possible, mais seulement si les gouvernements, les plateformes numériques, les bailleurs de fonds et les citoyens agissent avec détermination. Les gouvernements doivent adopter et appliquer des lois, intégrer la sécurité en ligne dans les stratégies nationales et investir dans des initiatives menées par des rescapées. Les plateformes numériques doivent donner la priorité à la protection et à la responsabilisation des utilisateurs. Les donateurs et les partenaires au développement doivent financer des innovations intégrant la dimension de genre. Et nous devons tous reconnaître qu’une Afrique numérique plus sûre n’est pas seulement un impératif moral, c’est également un impératif économique et social.
L’avenir numérique de l’Afrique repose sur la capacité des femmes et des filles à y participer en toute sécurité, librement et en toute confiance. En prenant dès maintenant des mesures audacieuses et concertées, nous pouvons faire en sorte que la prochaine génération d’innovateurs et de dirigeants africains prospère dans un environnement numérique qui les protège, les autonomise et favorise leur épanouissement.
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