Le rapport définitif de la Cour des Comptes sur le contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la covid-19 (Force Covid), relatives aux gestions 2020 et 2021, daté du 19 août 2022, vient d’être rendu public. Au vu des irrégularités et manquements relevés, la reddition des comptes est devenue une exigence nationale.
Par Daouda Mbaye, Rédacteur en chef
Le dernier rapport de la Chambre des affaires budgétaires et financières de la Cour des Comptes du Sénégal, relatif au contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid) vient de soulever un tollé ! Nous devons ce travail minutieux et de haute facture à une équipe composée du Rapporteur, Thierno Idrissa A. DIA (Conseiller-Maître), de membres de la mission de contrôle, avec les magistrats Khady Ndao DIAGNE (Conseiller Référendaire), Ibrahima GAYE (Conseiller), Massamba DIENG (Conseiller), Jean Christophe DIATTA (Conseiller) et des assistants de vérification Ndèye Ndak NIANG et Faty Mbacké MBAYE, Edmond Tidiakh KAMA et Towall Amrou SOW.
En dépit des préventions de leaders politiques ou de membres de la société civile, la gestion des fonds Force Covid se révèle un énorme fiasco ! Précisons que le projet de loi de règlement de 2020 de ce fonds fait ressortir 773,214 milliards f CFA, dont 651,006 Mrds f CFA provenant des partenaires, 102,25 Mrds f CFA de l’Etat et 19,958 Mrds f CFA de l’élan de solidarité des sénégalais et résidents, sur 1 000 Mrds f CFA annoncés. Outre des cas de renchérissement des coûts d’acquisition de matériels et équipements médicaux, le gré à gré a enrichi exagérément des prestataires.
Une série de manquements
A travers 5 chapitres, tels que « Dispositif de pilotage et contrôle des opérations », « Mobilisation des ressources et modalités d’exécution des dépenses du programme de résilience économique et sociale », « Exécution des dépenses par le ministère de la Santé et de l’action sociale », «Exécution des dépenses par les autres ministères et organismes publics », «Exécution des dépenses par les autres ministères et organismes publics » et « Mesures de soutien aux entreprises affectées par la pandémie », sont revenus comme un leitmotiv, les termes insuffisances, défauts de paiement, défaillances, non-respect, etc. Au-delà de ce constat, la CC fait plus de 80 recommandations aux institutions et autorités concernées.
A noter que les faits relatés, présumés constitutifs de fautes de gestion ou d’infractions pénales, ont fait l’objet, selon les cas, de projets de déférés ou de référés soumis aux autorités compétentes, conformément aux règles et procédures prévues par la loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 sur la Cour des comptes (CC).
Des écarts injustifiés
Rappelons que l’appui au secteur de la santé constitue le pilier 1 du Programme de résilience économique et sociale (PRES). Il ressort du rapport de la CC qu’Abdoulaye Diouf Sarr, ministre de la Santé et de l’Action sociale, a reçu 92,140 milliards f CFA de ce fonds. Les magistrats et experts déplorent du gré à gré et des surfacturations. En effet, les entreprises Al Nabiyou Voyages, Medina Sarl, NKG ou Sonabi, appartenant à la même personne Ndèye Katy Gadiaga, ont bénéficié de 17 marchés pour un montant de 15, 578 milliards f CFA- tenez-vous bien ! – pour livrer du matériel médical et des équipements de protection individuelle à ce ministère. Comme si cela ne suffisait pas, Ousseynou Ngom, DAGE du ministère, a irrégulièrement payé quelque 313,100 millions f CFA à des personnes dites « Membres du Comité national de gestion des épidémies », et des factures d’hôtel sans la production de réquisition pour une valeur de 504,985 millions fCFA.
Le ministère du Développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale, alors piloté par Mansour Faye, beau-frère du président de la république, a bénéficié d’une enveloppe de 69 milliards f CFA. Il s’agit d’un département qui avait entre autres missions de soutenir les ménages dans l’acquisition de denrées de première nécessité. Au lieu de mettre en place une plateforme internet pour du transfert d’argent, une fois que les ménages les plus démunis sélectionnés, ce ministère a opté pour additionner toute la logistique pour une acquisition et une distribution physique, çà travers tout le Sénégal. Ce que nombre de citoyens sénégalais craignaient arriva. Des camions de riz se renversèrent sur la route, tandis que d’autres n’étaient même pas appropriés pour ce type de transport, etc. La CC a déploré des surfacturations sur le riz à hauteur de près de 2,745 milliards f CFA, soit un surplus de 25 000 f CFA la tonne, sur le gel hydroalcoolique pour 42,022 millions f CFA. Outre, le fait d’enrichir délibérément certains commerçants au détriment d’autres spécialisés dans la filière, le DAGE de ce Département a procédé à des retraits en espèces au niveau des comptes de dépôt pour un montant de 399 millions f CFA, sans qu’une caisse d’avance n’ait été instituée.
Moustapha Diop, ministre du Développement industriel et des PME, reçut 2,5 milliards f CFA pour acquérir 6,250 millions de masques sanitaires. Mais il se trouve que l’intégralité de cette somme a été virée dans le compte de dépôt n°422.048, intitulé « Fonds d’appui à la Promotion de la PME », ouvert à la Trésorerie générale. Le rapport de la CC dévoile que ce ministre s’est auto-nommé gestionnaire du compte. Deux retraits de 500 millions et un autre de 2 milliards f CFA sont alors effectués pour alimenter le compte bancaire « Fonds d’Appui à la Promotion de la PME », ouvert à la BOA.
Le ministère des Sports, sous la direction de Matar Ba, s’est vu allouer 402 millions f CFA du fonds Force Covid. Sur les 205 000 000 FCFA reçus, la Fédération sénégalaise de basket-ball a reversé 50 000 000 FCFA en deux tranches (chèque n°746139 de 25 000 000 FCFA et chèque n°746141 de 25 000 000 FCFA) à Mamadou Ngom NIANG, Directeur de l’Administration générale et de l’Equipement du Ministère des Sports, pour le paiement de subventions à d’autres associations et fédérations sportives. Monsieur NIANG, a procédé au paiement de subventions en numéraires pour un montant total de 190 000 000 FCFA sans décision de versement. Cela est pourtant interdit par les dispositions de l’article 104 du règlement général de la Comptabilité publique. La CC constate un écart de 140 millions f CFA entre les montants reversés par la FSB et le total des décharges produites par le DAGE. Ce dernier pour sa défense a soutenu : « nous sollicitons votre tolérance administrative par rapport à la violation des dispositions de l’article 104 du RGCP. »
Des débours, sans lien avec Covid
Au niveau du ministère de l’Urbanisme, de l’habitait et de l’hygiène publique, avec à sa tête Abdoulaye Saydou Sow, un montant de 2,5 Mrds f CFA a été octroyé. Malheureusement, quelque 315,729 millions f CFA ont été dépensés pour un business plan, une formation, un aménagement et des réparations qui n’ont rien à voir avec la pandémie.
Quant au ministère des Mines et de la géologie, dirigé alors par Oumar Sarr, le milliard f CFA reçu a servi à financer un montant de 800,445 millions f CFA pour des achats de logiciels et de motos, mais aussi pour régler un aménagement, sans lien avec Covid.
Du côté du ministère de la Fonction publique, de la rationalisation des effectifs et du renouveau du service public, sous la direction de Mariama Sarr, 100 millions f CFA ont été versés, mais seulement 73,45 millions f CFA ont été exécutés pour des achats de denrées de première nécessité, telles qu’huile, riz et huile, mais sans lien avec la maladie.
Zahra Iyane Thiam, qui dirigeait le ministère de la Microfinance et de l’économie sociale et solidaire, a reçu un milliard d CFA. A noter que ce montant a été viré en intégralité dans un compte ouvert à la BNDE. La CC révèle qu’un montant de 11,191 millions f CFA, dépensé, mais non retracé dans des dépenses à hauteur de 49,586 millions f CFA, sans attache avec Covid, notamment couverture d’événements, per diem, location de véhicules.
Le ministère du Commerce, des PME, alors dirigé par Aminata Assome Diatta, a bénéficié d’un milliard f CFA, pour une exécution de dépenses de 570, 618 millions f CFA sans lien avec Covid-19. Ce montant a servi à la réparation de véhicules, l’achat de tracteur, le règlement de séminaire de formation et d’une plateforme e-Commerce.
Sans conteste la CC n’a omis aucune composante pour améliorer la gestion des deniers publics. A titre d’exemple, elle demande au Directeur général des Impôts et Domaines de procéder au recouvrement des surplus de subventions indument accordés aux entreprises NOVOTEL, PULLMAN et SUP.DE.CO. Gageons que des enquêtes parlementaires seront diligentées pour apporter de la lumière sur des manquements qui auraient pu être évités.