Remplacer les réfrigérants qui nuisent à la couche d’ozone, par des nouveaux réfrigérants dits écologiques ou alternatifs, mais inflammables doit se faire avec tact et après avoir pris toutes les précautions et dispositions qui empêcheraient une hécatombe. Dans cet interview, Madi Sakandé, président de U-3ARC, prend le relais de ses pairs experts et techniciens pour alerter sur les risques très importants d’un approvisionnement du marché africain, sans prendre le temps de former les techniciens et sensibiliser en masse les utilisateurs, comme en Europe et aux Etats Unis d’Amérique. 

Les nouveaux réfrigérants sont la bienvenue. Quels sont les craintes que vous nourrissez sur l’Afrique ?
Madi Sakandé : Relativement aux nouveaux réfrigérants, il faut comprendre qu’avec les changements climatiques que nous vivons ces dernières années, le secteur du froid est pris à partie. Il s’est trouvé que les réfrigérants, utilisés dans les systèmes frigorifiques, contiennent d’une part, du chlore qui nuit à la couche d’ozone, et d’autre part, du fluor qui est un élément à effet de serre. Il a alors été décidé par Nations Unies, d’abord avec le Protocole de Montréal en 1987 et son amendement de Kigali en 2016, de substituer ces réfrigérants par de « nouveaux réfrigérants » dits « écologiques ou alternatifs ». Le revers de la médaille est que ces nouveaux réfrigérants pourraient avoir un impact très dangereux sur l’homme, en ce sens qu’ils sont inflammables. Pour les techniciens africains qui ont jusqu’à présent utilisés des réfrigérants non inflammables, le risque est très important. Plus de 90% des techniciens africains ignorent le risque encouru en manipulant de tels réfrigérants.

Le danger encouru, ce sont des incendies et des explosions, déjà dénombrés dans certains pays africains, avec l’utilisation de ces réfrigérants dans les frigos domestiques (R600a ou Isobutane). Imaginez, les climatiseurs, chargés avec ce type de réfrigérants, notamment le R290 qui est du propane ! Le propane est de la famille du gaz butane utilisé pour la cuisine… Vous voyez d’ici le tableau, dans le groupe frigorifique, on met le gaz de la cuisine et que le technicien, qui n’est pas au courant, charge une quantité inappropriée, puisqu’il faut avoir une balance, un outillage adéquat ainsi que les connaissances afférentes pour éviter de se brûler soi-même pendant le travail ou encore créer des explosions successives, en cas de surcharge… En cas de fuites dans la maison, le mélange d’air-réfrigérant pourrait créer ces explosions plus tard en cas d’étincelles d’origine diverse, soit activation d’un interrupteur ou d’enclenchement de réponse ou d’appel d’un portable, allumage d’un briquet… A la fois, le technicien frigoriste tout comme l’usager doivent être au courant. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas, à très large échelle, en Afrique.  C’est très dangereux ! Nous sommes très inquiets, quant à l’approche de cette technologie déjà présente sur le continent, à travers des structures qui y font la promotion sans connaitre réellement la réalité du secteur du froid en Afrique.

Ces types de technologies sont-elles utilisées dans les pays d’origine de ces agences qui font sa promotion en Afrique ?
Le niveau d’utilisation de ces technologies est assez varié et circonscrit, prenant en compte la sécurité. Figurez-vous que les split-systèmes, qui utilisent le R290, hautement inflammable voire explosif, sont strictement interdits en Europe ! C’est seulement, à partir de 2027, que leur utilisation sera autorisée. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire qu’on donne le temps aux techniciens européens d’être formés, de prendre connaissance de la manipulation de ces réfrigérants, avant leur mise en vente sur le marché. Si on demande aux techniciens européens, mieux outillés et mieux formés, un temps de latence avant toute utilisation, quid de ceux qui opèrent en Afrique ? Nos techniciens sont-ils prêts pour ? Malheureusement des agences, « prétendues de développement et d’aide de l’Afrique », sont en train de promouvoir cette technologie. Nous trouvons aberrant qu’on vienne la tester en Afrique, soutenant la décarbonisation. Depuis quand l’Afrique, qui souffre d’un manque criard d’industrialisation, est-elle si polluée ? Les appareils décarbonisant sont mieux appropriés dans les milieux hyperpollués… Avec des gens qui n’ont ni les compétences, ni les connaissances nécessaires, nous risquons de perdre des vies humaines, autant parmi les techniciens que parmi les usagers.
Que les pays, qui considèrent ces produits adéquats en matière d’efficacité énergétique, et écoresponsables, tiennent aussi compte de l’aspect sécurité et sûreté des personnes, avant de se jeter à corps perdus sur des projets sans appréhender les tenants et les aboutissants. Il est important que les pays africains qui veulent adopter ces technologies sachent quel est le pour et le contre ou quel est le gain et le risque…

Quels sont les prérequis pour une telle diffusion sur le continent ?

Pour la diffusion d’une telle technologie en Afrique, les prérequis passent dans un premier temps dans une sensibilisation de masse, c’est-à-dire l’utilisateur. Le changement climatique concerne tous les humains. Dans un premier temps, il est nécessaire que tous les utilisateurs soient informés du danger qu’il y a derrière l’angle à l’usage de ces nouveaux réfrigérants, certes écoresponsables mais hélas dangereux pour l’homme. Dans un second temps, il faut former tous les techniciens y compris ceux qui ont appris le métier de frigoriste dans le tas. Ce côté informel, de frigoristes qui n’ont aucune connaissance de la thermodynamique, est à prendre en considération. Aussi, lorsqu’on ne forme que 10, 20 ou 30, voire 100 techniciens dans un pays où ils sont 4 000, 5 000, 6 000 ou 1 million, vous mesurez le danger ? Pire beaucoup de non techniciens vont sur le terrain et manipulent… il arrive souvent que ce ne sont que des bureaucrates et autres ingénieurs qui suivent des formations pour percevoir uniquement des per diem. A la fin, un grand nombre ne se préoccupent guère de l’application des acquis sur le terrain. Les techniciens qui travaillent avec eux ne seront pas informés des dangers dans la manipulation de ces nouveaux réfrigérants. C’est très important que les techniciens soient informés. Pour ce faire, le recensement de tous les techniciens du continent est nécessaire. Ils seront ainsi informés et on pourrait atténuer un cataclysme, à défaut de l’éviter. U-3ARC est d’ailleurs en train de recenser, depuis janvier 2022 sur son site internet ( https://www.u-3arc.org/fr/feedback ), tous les techniciens Africains, à cet effet.

Les pays occidentaux font-ils, à votre avis, toutes les formations dans ce sens ? Si oui, à quelle envergure ?
Il est clair que les pays occidentaux sont les plus pollués. La logique voudrait que ces technologies soient d’abord utilisées dans ces pays. A ce que je sache, ce genre de technologies ne sont pas encore en vigueur aux Etats Unis d’Amérique, justement parce qu’elles sont dangereuses. En Europe, les split-systèmes (avec 2 éléments, un évaporateur et un condensateur), c’est-à-dire, les climatiseurs majoritairement utilisés en Afrique, chargés avec le R290 ou le propane, ne le seront qu’à partir de 2027, sur décision de la trilogie de l’Union européenne, prise le 05 octobre 2023. Dans 04 ans, cela donnera du temps aux techniciens de se former et se préparer à la manipulation des réfrigérants alternatifs.

Malheureusement en Afrique, ce n’est pas le cas, les produits à réfrigérants nouveaux commencent à y être déversés et la formation laisse à désirer. Les risques sont très très importants ! Certes, nous aspirons à un environnement sain mais avec des êtres humains dedans. Si ces derniers sont décimés à quoi servirait l’environnement sain ? A’ moins que cela constitue une autre excuse pour décimer encore quelques vies humaines en Afrique, vu la progression du taux de natalité sur le « continent, Berceau de l’Humanité ». La question de la sécurité prend ainsi toute son ampleur. Nous n’attendons pas qu’il y ait un drame pour faire « le médecin après la mort ». Nous voulons éviter une catastrophe en Afrique et partout ailleurs dans le monde.  Nous suggérons que, sur le continent, la concertation se fasse avec les experts Africains. Il est nécessaire, voire impératif, que les autorités politico-administratives mettent en place une réglementation stricte ou une loi-cadre pour l’utilisation et la manipulation de ces nouveaux réfrigérants. Ne perdons pas de vue que tous les cadeaux ne sont pas bons à prendre. Certains d’entre eux couvent des dangers à l’encontre des populations.

Propos recueillis par D. Mbaye