Depuis quelques jours, des Diolas, mais aussi d’autres membres d’ethnies, qui le souhaitent, se réunissent dans le village de Balingore, en Basse Casamance, au Sénégal, pour participer au BUKUT (lire BOUKOUTE). La cérémonie, qui s’y tient, suit une précédente, tenue en 1982, il y a 40 ans de cela. Véritable passage pour accéder au stade d’adulte responsable qui a voix au chapitre, elle reste une manifestation populaire, égalitaire et hautement œcuménique.
Daouda MBaye
Le BUKUT se déroule dans le sud du Sénégal. Au-delà d’une simple initiation pour traverser le stade d’enfant ou d’homme non encore intégré entièrement à la société, c’est l’apprentissage d’un mode de vie hautement humain à tous ceux qui y participent. C’est une étape qui signifie la démarcation entre le jeune enfant et l’adulte (au vrai sens du mot), entre la femme et l’homme, entre l’immature et le mature, entre le négatif et le positif… Si à l’origine, cette manifestation grandiose s’adressait en général à des jeunes enfants et adultes, aujourd’hui, compte tenu de la conjoncture économique et autres aléas, elle peut comprendre des hommes d’un certain âge au cursus non encore sanctionné par elle. Les ressortissants de la localité, qui se trouvent ailleurs dans le Sénégal ou dans la diaspora, accourent aussi pour ne pas la rater. Notons que le BUKUT, gratuit, n’est pas réservé exclusivement à l’ethnie Diola du village, n’importe quel autre sénégalais, qui le désire, peut subir cette épreuve, moyennant une modique participation de 15 000 f CFA, soit environ 22,5 €.
Actuellement, Balingore, village chef-lieu de la commune éponyme, dans l’arrondissement de Tendouck, situé dans le département de Bignona (Région de Ziguinchor) en Basse Casamance, organise un BUKUT qui réunit plus de 2 000 recrues à l’initiation. La localité est en train de refuser du monde, tant le BUKUT est couru. C’est tout à fait normal, dira un ressortissant de Bignona qui me confirme que cela faisait 40 ans qu’une telle occasion ne s’y était présentée… Il m’apprend, au passage, qu’il participa dans son village, à celui de 1968, à peine haut comme trois pommes à l’âge de 6 ans, tandis que son propre fils n’a pu intégrer le cercle des Hommes initiés qu’en 2010, soit 43 ans plus tard.
Accès au statut d’homme sociable et responsable
Le BUKUT est une sorte d’université aux classes accélérées. Non seulement, il est établi et enseigné à chaque initié, rasé avec pour seul accoutrement un pagne bouffant noué autour des hanches, sa généalogie, mais aussi on lui apprend les rudiments de la vie en société. Gare à ceux qui ont désobéi ou manqué de respect à leurs parents- ils y sont sévèrement punis.
Bien entendu, nous ne partageons ici que ce qui est admis dans toute la communauté Diola. Ce qui se passe dans le Bois sacré- une forêt dense où la lumière du soleil entre, à peine ajourée- reste un secret qui n’est connu que des initiés. On y entre en sacralité, rasé et bien propre. On en sort ragaillardi et digne du statut d’homme, à même de convoler en noces, d’être dans le cercle des initiés… Bref, celui, qui réussit le BUKUT, accède au stade d’homme liant, sociable et responsable.
La participation des femmes, importante à plus d’un titre, consiste en la préparation psychologique des initiés dans leurs familles respectives, notamment matriarcales, en la préparation de mets, excepté pour celles en menstrues, et en l’animation des danses et chants, avant et après la sortie du Bois sacré. Justement, ce volet en fait une fête populaire qui n’exclut personne. Etape cruciale, les moments qui précèdent l’entrée dans le Bois sacré, pour une promotion d’hommes en puissance, encadrés par des « anciens », déjà initiés, entourés de membres de la famille et surtout de femmes anxieuses, appréhendant ce qui va se passer dans ce lieu culte, exclusivement réservé aux initiés.
Aujourd’hui, à Balingore, les portes des maisons toutes ouvertes aux parents, aux visiteurs et autres sages du village. Des tentes sont même apprêtées pour accueillir plus de monde. Les victuailles ne manquent pas. Du bétail est sacrifié, la nourriture est approvisionnée par parents et amis, pour cuisiner des mets au profit des initiés dans le Bois sacré et de tout le monde présent. Tout est gratuit, une fois que c’est préparé.
Pendant le BUKUT, le village vit une sécurité et une sûreté sans égales. Selon les anciens, il est alors protégé par le Fambon’di. C’est un protecteur immatériel qui veille alors sur les biens et les personnes. Rien ne se perd alors, que ce soit un smartphone ou une sacoche bourrée de billets de banques. La sanction d’un vol est fatalement la mort… Fam’bondi veille. Il veille tellement que les moustiques ravalent leurs piqûres dans Balingore, pendant le BUKUT ! Au même moment, allez demander aux villages environnants de Baléou et d’Etékome, comment se passe une nuit de sommeil sans moustiquaires !
Un énorme potentiel
Doit-on rappeler que le BUKUT est le moment d’expression du savoir des anciens ? L’un d’eux a réitéré qu’ils puisent cette science des plantes (feuilles et racines) et de l’eau. A Balingore, les caméras de télévision filment des scènes inouïes, où bardés d’amulettes, des hommes se lacèrent le corps d’objets contondants sans se blesser, d’autres passent des flambeaux sur les cheveux sans se brûler… D’autres pointent des fusils sur eux et tirent sans se blesser ou s’égratigner… Cet aspect a poussé un observateur à soutenir que cette science doit être vivifiée. Il va plus loin dans son raisonnement, défendant que la préservation des tous les bois sacrés concourt à la protection de l’environnement…
En concertation avec les populations locales, l’Etat du Sénégal gagnerait à institutionnaliser et accompagner ce type d’écoles, voire d’universités, héritées des anciens. Le département du Tourisme pourrait apporter un soutien en termes d’organisation, d’accroissement des réceptifs ou de maisons d’hôtes, intégrant les BUKUTs dans le calendrier des dates incontournables du tourisme au Sénégal.