Le dernier rapport de Natural Resource Governance Institute (NRGI) sur « La gestion des revenus pétroliers et gaziers du Sénégal », à fin décembre 2021 et signé par William Davis, Andrew Bauer et Papa Daouda A. Diène, vient conforter une réelle désillusion sur l’apport des recettes publiques, entre 1,5 à 6% du PIB sur 25 ans !
Daouda Mbaye, Journaliste
Le Sénégal est sur le point de devenir un important producteur de pétrole et de gaz. Toutefois, ce pays ouest africain, d’à peine 17 millions d’habitants, pourrait devenir une destination de pétrodollars, à l’instar des pays arabes du Golfe ? Les revenus qu’il peut espérer mobiliser lui ouvrent d’importantes possibilités d’accélérer le développement du pays par l’augmentation des investissements publics. Pourtant, avec deux nouveaux projets pétroliers et gaziers, en passe de démarrer leur production, à savoir les projets offshore Grand Tortue Ahmeyim GTA et Sangomar, le gouvernement du Sénégal pourrait percevoir des recettes modestes de ce secteur à partir de 2023 et au moins jusqu’à la fin des années 2040.
Le Fonds monétaire international (FMI), qui vient d’octroyer quelque satisfecit au Sénégal, estime que les recettes publiques provenant du pétrole et du gaz représenteront en moyenne 1,5 % du PIB ou 6 % de l’ensemble des recettes publiques pendant 25 ans. Le rapport NGRI affirme que ceci représente des fonds supplémentaires importants, mais ils ne feraient pas du Sénégal un pays dépendant du pétrole. Ils sont insuffisants pour avoir à eux seuls un effet transformateur, mais s’ils sont bien gérés, ils pourraient faire augmenter le niveau de vie de la population sénégalaise, même légèrement.
Le rapport a permis d’évaluer divers aspects des cadres règlementaires et institutionnels du Sénégal pour la gestion des revenus pétroliers et gaziers, et propose des recommandations sur la manière dont il pourrait être renforcé.
Compte tenu du faible volume des recettes extractives perçues à ce jour par le pays, il n’existe aucune institution spécifique, chargée de leur gestion. Actuellement, les recettes extractives du Sénégal (provenant principalement du secteur minier) passent par le budget général, et les processus budgétaires généraux s’appliquent. Ce processus est modérément transparent. En effet, le document de planification budgétaire lui-même fournit une quantité importante d’informations et est accompagné d’autres documents permettant à la société civile et aux citoyens ordinaires d’évaluer plus facilement ses mérites.
Améliorer les processus fiscaux
Le Sénégal pourrait améliorer ses processus fiscaux, en renforçant par exemple la planification et l’exécution du budget (par ex. en accordant plus de temps au processus); en publiant davantage d’informations (actualisées) sur des aspects importants de la politique fiscale, notamment sur les revenus des industries extractives, ainsi que sur la dette totale du secteur public ; et en traitant les incohérences dans certaines statistiques fiscales.
Le gouvernement pourrait aussi réduire les recours aux procédures de dépenses simplifiées et aux appels d’offres publics uniques, qui présentent tous deux des risques de corruption, et c’est d’ailleurs ce qu’il prévoit de faire. Une plus grande participation du public au processus budgétaire serait également salutaire, ce que le gouvernement pourrait favoriser au travers de différentes mesures. Il n’existe actuellement pas de politiques spécifiques pour épargner ou affecter d’une manière ou d’une autre les revenus pétroliers et gaziers. Par conséquent, et comme pour le processus budgétaire, ceux-ci sont soumis au cadre général de politique macroéconomique du pays, notamment les critères de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) respectivement.
Initiatives peu ambitieuses et recommandations
Étant donné que les pays riches en ressources naturelles de l’Afrique subsaharienne ont généralement peu respecté ces politiques macroéconomiques supranationales, et que le Sénégal a également obtenu des résultats mitigés en matière de respect de ces critères, ces règles n’aideront peut-être pas le Sénégal à gérer efficacement ses recettes tirées des activités extractives ; un cadre national solide pourrait alors s’avérer nécessaire. Dans cette optique, le gouvernement du Sénégal indique qu’il travaille actuellement à l’élaboration de règles budgétaires visant à épargner, pour les générations futures (Fonds souverain intergénérationnel qui manque d’ambitions et pour alimenter un Fonds de Stabilisation) une partie des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz.
Selon les dernières informations reçues par NRGI, les autorités envisagent d’affecter chaque année un pourcentage fixe des recettes tirées. Par exemple, un document de planification pré-budgétaire pour préparer les réponses en amont, un cadre financier triennal pour comprendre comment le budget de l’année en cours s’articule avec les plans à moyen terme, et un budget citoyen pour rendre le processus plus accessible. Toutefois, aucune décision finale n’a été prise quant à la mise en œuvre de cette approche.
Les experts de RGI recommandent au gouvernement sénégalais d’envisager des alternatives imposant une responsabilité fiscale pour l’ensemble des dépenses publiques, et pas seulement pour les activités extractives. A défaut, le gouvernement pourrait mettre de côté les revenus des activités extractives tout en empruntant ailleurs, comme cela s’est produit dans certains autres pays. Le gouvernement a également l’intention d’investir les recettes épargnées dans un fonds souverain (le fonds intergénérationnel) et un fonds de stabilisation. Nous soutenons que les autorités devraient envisager de se concentrer sur l’investissement des revenus tirés des ressources naturelles au niveau national et faire passer ces investissements par le budget général, afin de renforcer le contrôle des finances publiques.
Envisager de profondes réformes
Aussi, les autorités doivent être conscientes des contraintes de capacité d’absorption et éviter d’investir trop au cours d’une année donnée. Lorsque les recettes d’une année donnée dépassent ce que l’économie peut absorber, le gouvernement pourrait envisager de rembourser la dette publique (en particulier la dette la plus chère) au lieu de stocker celles-ci dans un fonds souverain. Précisons que le Fonds intergénérationnel que le Sénégal prévoit de créer sera géré par le Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis), un fonds national d’investissements stratégiques. Pour ces analystes, si le Fonsis doit effectivement assumer ce nouveau rôle, des changements majeurs dans la gouvernance du fonds seraient souhaitables en amont. Tout d’abord, le fonds devrait être plus transparent — ni ses rapports financiers, ni une évaluation indépendante de ses performances ne sont actuellement publiées. Deuxièmement, le FONSIS doit renforcer ses capacités — la gestion de la part des revenus pétroliers et gaziers du pays dont il aura la responsabilité augmentera considérablement le capital du fonds et exigera une approche différente de sa gestion.
Séparer les investissements domestiques de la gestion des revenus des ressources naturelles
Enfin, des règles opérationnelles plus précises pourraient contribuer à renforcer la gouvernance du fonds. Il pourrait notamment s’agir de séparer ses investissements domestiques de sa gestion des revenus des ressources naturelles, d’introduire un code de conduite global, d’interdire certains investissements risqués et d’appliquer des règles plus claires s’agissant des conditions et du calendrier de versement des dividendes à l’État.
Un autre élément important de la gestion des revenus pétroliers et gaziers du Sénégal est la société pétrolière nationale, Petrosen. Cette société détient des participations de 10 % et 18 % dans les projets GTA et Sangomar respectivement, et percevra sa quote-part de revenus en sa qualité de membre de la coentreprise (joint-venture) au même titre que les sociétés pétrolières internationales (ainsi que d’autres revenus fiscaux), dont une partie pourra être réinvestie dans le secteur. Certes, elle a très récemment amélioré sa transparence, en publiant ses états financiers et une certification de vérification indépendante de son dernier bilan, elle pourrait toutefois encore renforcer sa gouvernance, par exemple en devenant encore plus transparente, en nommant des administrateurs indépendants au Conseil d’administration, en rationalisant son mandat pour se concentrer sur ses compétences essentielles et en clarifiant la part des recettes qu’elle reversera à l’État.
Quant au partage d’un certain montant de ses revenus pétroliers et gaziers avec les collectivités locales, il serait opportun pour d’adopter des règles afférentes. Ce problème se pose, car certaines communautés de pêcheurs ont fait part de leurs préoccupations quant aux impacts négatifs des projets offshore Grand Tortue Ahmeyim GTA et Sangomar sur leurs moyens de subsistance. La gestion des revenus pétroliers et gaziers du Sénégal gagnerait à être renforcée dans la transparence. Les politiques macroéconomiques pour la gestion des recettes tirées de l’exploitation du pétrole et du gaz, ainsi que la gouvernance du Fonsis et de Petrosen devraient s’inscrire dans ce sens, pour tirer le meilleur parti des ressources pétrolières et gazières du pays.
Last but not least, à l’instar de l’Algérie et sa Sonatrach, de l’Arabie saoudite et Aramco… le Sénégal qui forme déjà des ingénieurs et techniciens des métiers des hydrocarbures pourra se réserver les périmètres à plus forte teneur et devenir à très court terme un grand producteur.