Jeune médecin, confrontée à l’absence d’une base de données centralisée, Dr Vèna Arielle Ahouansou a fondé Kea Medicals pour fournir à tout patient une Identité médicale universelle (IMU) et atténuer la déconnexion entre hôpitaux et médecins, en termes d’historique médical. Sa solution, rapidement plébiscitée, permet un Code d’identification IMU, sous forme de Code QR à tout patient.

Sortir les patients de l’anonymat médical

Quelle est la genèse du projet Identité médicale universelle?

Dr Vèna Arielle Ahouansou : Étant médecin, j’ai longtemps été un témoin passif de nombreux décès évitables. Il n’y a pas longtemps, la mort d’une jeune femme de 27 ans a déclenché en moi la détermination de contribuer à changer cette donne. Un soir au Bénin (Afrique de l’Ouest), j’étais de garde dans un hôpital de référence, quand j’ai reçu Charlotte, une jeune femme d’environ 27 ans. Elle venait de donner naissance à des jumeaux dans un hôpital de banlieue. Malheureusement, la délivrance a entraîné une hémorragie lors de l’accouchement.
Charlotte avait besoin d’une transfusion sanguine en urgence. Bien qu’elle ait déjà réalisé un test d’identification de son groupe sanguin, lors de sa grossesse, nous n’avions aucun moyen à cet instant de retrouver celui-ci. Nous avions perdu dix minutes à établir une nouvelle recherche, afin de lui administrer cette transfusion sanguine qui aurait pu la sauver. Ces dix minutes lui ont été fatales. J’ai été très choquée. Car je me suis rendu compte que tout le monde pouvait se retrouver un jour dans cette même situation.
Comme cette femme, de nombreux patients meurent dans des hôpitaux en Afrique, mais pas seulement, en raison d’un manque d’informations. En effet, il n’existe pas une base de données centralisée pratique permettant de remonter facilement l’information médicale du patient immédiatement, à la demande. J’ai donc créé «Kea Medical» le système d’identification médicale universelle.

Comment est-il décliné sur le plan pratique?

Keamedical.net est un logiciel unique de santé électronique qui assure la numérisation de tous les processus de soins dans un hôpital. En effet, la situation actuelle de l’environnement sanitaire africain révèle une certaine déconnexion entre hôpitaux et médecins, en ce qui concerne l’historique médical des patients. Le médecin traitant a du mal à opérer une prise en charge globale, ou à agir de façon prompte du fait d’un déficit d’information, et peut être amené à recommencer certaines procédures d’exploration qui, non seulement alourdissent les coûts de santé pour le patient, mais également accroissent le taux de mortalité hospitalière. Le système actuel de gestion manuelle des dossiers médicaux du patient pose le problème du risque de perte des données avec le temps, de même qu’une difficulté à retracer aisément l’information médicale des patients. La plateforme Keamedical est basée sur la gestion du dossier médical électronique du patient par l’Identité médicale universelle de ce dernier.

Fondamentalement, les patients créent leur compte IMU sur notre plateforme aussi simplement qu’un compte Facebook ou Gmail, fournissant des informations de base comme (l’identité, les allergies, les maladies chroniques, le groupage sanguin, le numéro d’un proche à contacter en cas d’urgence, etc.). Après l’enregistrement, chaque patient reçoit son Code d’identification IMU qui est un Code QR. Nous imprimons sur différents supports (des bracelets, des patchs, des cartes) le Code QR, le nom du patient et le numéro d’urgence.

Ainsi, une fois qu’un patient se rend dans n’importe quel hôpital, le médecin a juste à scanner son QR Code et à remonter l’entièreté de son historique médical, afin de lui administrer des soins adéquats. Même quand le patient est inconscient, avec son bracelet IMU, le médecin connaît son identité et peut rapidement contacter le numéro d’un proche pour honorer les premières ordonnances.

Quel a été l’accueil de vos pairs béninois, africains et du grand public?

Dans l’écosystème africain où la santé digitale est encore embryonnaire, il faut dire que l’intérêt du public était plutôt prometteur. Le ministère de la Santé du Bénin était l’un de nos premiers soutiens, à travers le financement d’une tournée nationale d’informations du personnel médical sur la solution.

Avez-vous été approchés par des autorités sanitaires d’autres pays africains pour sa commercialisation? Si oui, lesquels?

Oui nous avions eu déjà des manifestations d’intérêt de plusieurs autres pays de la sous-région, tels que le Togo, le Niger, le Mali, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, l’Algérie et j’en passe. Nous nous sommes même rendu compte que le besoin existait dans certains pays où l’on croit que tout est déjà réalisé, tels que la France, pour ne citer que cet exemple.

Vous contenterez-vous de cette première version, ou devrait-on s’attendre à d’autres en fonction de l’évolution technologique?

Notre vision est d’améliorer le système de santé en Afrique en créant un hub de santé numérique qui facilite l’accès aux soins de qualité aux populations à la base. Donc bien entendu nous comptons apporter à chaque fois des solutions pour renforcer notre système et faciliter l’usage et l’accessibilité au plus grand nombre de la population.
Ceci a toujours été notre politique. Déjà dans ce sens, ayant commencé primitivement par la version web, nous avions fait des réinvestissements pour développer la version mobile de l’application qui se verra naturellement renforcée par d’autres fonctionnalités avec le temps.

Propos recueillis par Daouda MBaye