L’extraordinaire capacité de résilience des Asiatiques face aux chocs endogènes ou exogènes est un secret de Polichinelle. Bombes atomiques hier, maladies épidémiques et ouragans cycliques aujourd’hui, ces gens ont su toujours faire face à ces catastrophes, sortir la tête de l’eau et continuer leur marche vers l’avant. Cependant, l’énorme prouesse qu’a réussie la Chine, frappée de plein fouet par le coronavirus, défie les limites de l’imaginable. Elle a pu construire, en seulement dix jours, un hôpital de 1000 lits à Wuhan, ville épicentre de l’épidémie. Les travaux ont débuté le 24 janvier, l’édifice a accueilli ses premiers patients le 3 février, qui seront répartis dans plus de 400 chambres. Cette éclaircie en pleine grisaille, dans une province de 11 millions d’habitants devenue tristement célèbre, est sortie de terre grâce aux efforts de 4000 ouvriers qui ont travaillé jour et nuit. Cet hôpital baptisé «Montagne du Dieu du Feu», doté d’une connexion 5G, sera géré par un personnel composé de 1400 militaires.

De cette œuvre spectaculaire, on pourrait retenir trois leçons. L’importance d’apporter des solutions appropriées aux urgences du moment dans tous les secteurs d’activité, surtout en Afrique. Un aspect qui en appelle un autre, la délivrance des projets d’infrastructures à temps pour ne pas renchérir les coûts d’exécution et engendrer des impacts socioéconomiques négatifs. Un retard dans la construction de l’hôpital de Wuhan pouvait occasionner des décès supplémentaires dus à ce virus, faute de prise en charge rapide des patients. Ces notions de «Fast truck» et «Agir and Delivery» doivent être la norme et non l’exception. Autre enseignement, et non des moindres, l’impérieuse nécessité d’investir dans la santé, notamment dans les infrastructures. Un secteur qui souffre malheureusement de plusieurs maux dans le continent. D’après l’Union africaine, les dépenses publiques de santé en Afrique subsaharienne s’élèvent actuellement à 25-27 dollars par habitant en moyenne. Seuls sept pays y consacrent au moins 15% de leurs budgets nationaux: le Rwanda (18,8 %), le Botswana (17,8 %), le Niger (17,8 %), le Malawi (17,1 %), la Zambie (16,4 %) et le Burkina Faso (15,8 %). Le déficit en personnel médical est flagrant : 2 médecins pour 10 000 patients, 11 infirmières et sages-femmes pour 10 000 patients. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ce gap en personnel soignant qualifié devrait même atteindre la barre des 6,1 millions en 2030. A cela s’ajoute le manque criant de spécialistes (cancérologues, cardiologues, gynécologues, etc.) dans les hôpitaux publics et la vétusté d’appareils médicaux qui tombent régulièrement en panne. Que dire aussi des équipements sanitaires souvent inexistants dans des localités très reculées. L’organisation onusienne estimait d’ailleurs qu’il fallait installer 550 000 lits supplémentaires dans les établissements hospitaliers africains à l’horizon 2020 pour répondre aux besoins des populations.

Des chefs d’Etat africains rechignent à investir suffisamment dans leur système sanitaire mais n’hésitent pas à prendre les airs pour Paris, Londres ou Madrid pour y effectuer des soins médicaux aux frais du contribuable. L’Hôpital militaire du Val-de-Grâce et l’Hôpital américain de Neuilly à Paris sont d’ailleurs très fréquentés par ces patients de luxe. Et à quel prix ? Le séjour d’un président d’Afrique subsaharienne à l’Hôpital américain de Neuilly peut coûter jusqu’à 300 000 euros, soit le budget de fonctionnement annuel de l’Hôpital de Birao, en Centrafrique. L’aller-retour d’un avion médicalisé pour acheminer un ministre ouest-africain malade vers la capitale française coûte 120 000 euros, soit une vingtaine de bourses d’études en médecine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Certains d’entre eux préfèrent aussi accompagner leurs familles ou proches à l’étranger pour leurs soins médicaux. Les énormes sommes consacrées chaque année par les pays africains francophones d’Afrique subsaharienne dans les évacuations sanitaires équivalent aux coûts de construction de sept hôpitaux de dernière génération. Elles coûtent pas moins de 24 milliards de FCFA par an au Trésor public sénégalais, d’après le Dr Falilou Samb, directeur de la Polyclinique Pasteur de Rufisque (département de Dakar). Quant à Dr Royer Moyou-Mogou, spécialiste de la médecine vasculaire basé à Paris, il estime que l’argent dépensé chaque année pour évacuer trois patients dialysés en Europe peut construire un centre de dialyse avec quatre postes dans un hôpital africain pour soigner douze patients par jour.

Ces mirobolantes sommes dépensées ailleurs, si elles étaient injectées dans l’écosystème sanitaire, pouvaient soigner les maux dont souffre ce secteur. La santé doit demeurer une priorité absolue. Vivement la leçon de Pékin !

Par Elimane Sembène