De l’arrimage de l’Afrique au système portuaire mondial
Dans l’économie bleue, le transport maritime occupe une place de choix. Plusieurs corridors maritimes existent en Afrique. Dans cet entretien avec l’Expert maritime Pr Najib Cherfaoui, il est, entre autres, question de modèles de gouvernance portuaire les plus adaptés au contexte africain, des PPP au sein des ports (du reste loués), de l’importance de la digitalisation et de la dématérialisation des processus, ainsi que de la sécurité, une disposition qui fournit une meilleure visibilité sécuritaire de l’industrie maritime…
TIJARIS : Sur les routes maritimes, quels sont les principaux corridors existants ?
Pr Najib Cherfaoui : Nous distinguons 2 types de corridors. Les corridors débouchant sur la façade ouest sont :
Corridor Kribi : Kribi-Bangui-Gemena (3 200 km);
Corridor Bas Congo Matadi-Kinshasa-Lubumbashi (2 700 km);
Corridor Malange Luanda-Malange-Kananga (1 400 km);
Corridor Lobito Lobito-Lubumbashi (2 200 km);
Corridor Walvis Bay Walvis Bay-Solwezi (2 600 km).
Quant à ceux débouchant sur la façade Est, ce sont :
Corridor Nord : Mombasa-Kisangani (2 500 km);
Corridor Central : Dar es Salaam-Bukavu (1 700 km);
DAR Corridor : Dar es Salaam-Lubumbashi (2 100 km);
Corridor Beira : Beira-Lubumbashi (1 587 km);
Corridor Nord-Sud : Durban-Lubumbashi (2 750 km).
Quels modèles de gouvernance portuaire sont les plus adaptés au contexte africain, pour assurer une gestion efficace et souveraine des ports ?
La question se ramène au concept d’autorité portuaire : il s’agit de toute personne, physique ou morale, à qui une loi, un décret ou une décision attribuent des compétences ou assignent des obligations en matière de construction, d’amélioration ou de gestion d’un port.
Les États africains ont compris l’inefficacité d’être juges et parties. L’efficacité réside dans la gestion déléguée et la souveraineté réside dans le dispositif légal accompagnant ce dessaisissement. Ainsi, Dakar (Sénégal), Tema (Ghana), Pointe-Noire (République du Congo), Kribi (Cameroun), Cotonou (Bénin), Djibouti, Dar es-Salaam (Tanzanie)… se mettent à la page.
Quel rôle peuvent jouer les partenariats public-privé dans le développement et la modernisation des ports africains ?
Les États africains ont compris qu’il faut adosser les ports à des opérateurs ayant une flotte de navires puissante. C’est dans ce cadre que se situe le partenariat public-privé nécessaire à leur développement et à leur modernisation. Ainsi, au Sénégal, le Port autonome de Dakar est actionnaire de 10% dans le capital de DP World pour la concession du terminal à conteneurs, 5% dans celui de Dakar-Terminal pour le terminal roulier et 10% dans celui de Necotrans pour le terminal vraquier. Au Ghana, le concessionnaire du terminal à conteneurs «Ghana Meridian Port Services» regroupe MSC pour 35%, APMT 35% et Ghana Port Harbours Autority 30%.
Quels sont les avantages et les risques de ces partenariats ?
Le grand avantage réside dans le développement de la libre entreprise, dans un environnement concurrentiel bienfaisant à l’économie.
Le risque réside dans l’évaporation de la flotte de commerce stratégique, nécessaire à la sécurisation des approvisionnements en produits de base, tels que l’énergie et les produits alimentaires.
Comment les technologies numériques peuvent-elles améliorer l’efficacité et la compétitivité des ports africains ?
En fait, c’est à la pandémie du Covid que revient le mérite d’avoir fait prendre conscience aux États l’importance de la digitalisation et de la dématérialisation des processus, qui ont assuré la continuité du service portuaire.
Quels sont les besoins en matière de formation et de développement des compétences pour assurer une gestion portuaire de qualité en Afrique ?
La question n’est pas celle des compétences, mais plutôt celle de l’arrimage de l’Afrique au système portuaire mondial, avec la migration progressive vers les ports africains des bonnes pratiques de gestion et de gouvernance.
Quelles sont les mesures mises en place pour minimiser l’impact environnemental des activités portuaires ?
La question n’est pas celle de mesures mises en place. En adossant les ports à la flotte des grands opérateurs, chaque pays africain à vocation portuaire hérite de facto des bienfaits du système de décarbonations/désulfurisation convenu par l’OMI.
Quelles sont les initiatives, en cours, pour renforcer la sécurité maritime dans les ports africains ?
La sécurité est une question classique de police faisant partie de la vie quotidienne d’un port. Elle a été automatiquement renforcée par la notion de sûreté qui se réfère à un concept maritime global.
En 2004, l’Organisation maritime internationale (OMI) étend le contenu de la convention Solas par le code ISPS. Cette disposition fournit une meilleure visibilité sécuritaire de l’industrie maritime. En particulier, les navires doivent obtenir un visa pour continuer à prendre la mer. À terre, toute autorité portuaire doit déterminer les moyens à mobiliser pour rendre les installations conformes aux nouvelles normes de prévention. L’OMI n’impose pas de pénalités en cas de non-application du code. Par contre, ce sont les forces économiques qui contraignent à le respecter : l’absence de conformité génère automatiquement des primes d’assurance exorbitantes que les armateurs répercutent sur les coûts de fret.