L’Afrique cultive le paradoxe. Malgré son fort potentiel en ressources naturelles, le continent peine encore à s’extirper de la précarité. Un contraste qui découle de plusieurs facteurs.

Le sous-sol africain est béni par la nature. Il regorge de plusieurs ressources aussi précieuses que variées. Cette richesse permet à l’Afrique de détenir des parts importantes dans les réserves naturelles du monde. Le continent détient 42% des réserves mondiales d’or, entre 80 et 90% des réserves mondiales de métaux notamment le chrome et la platine, 6 à 8% du charbon et du cuivre, environ 12% des réserves mondiales de pétrole, et près de 20% des réserves utilisables d’uranium. Dans le champ agricole mondial, il y détient aussi des parcelles très significatives, avec près de 60% des terres arables, et une population agricole estimée à 530 millions actuellement et qui, selon les prévisions, devrait atteindre la barre des 580 millions en 2020. L’agriculture constitue une niche d’opportunités pour beaucoup d’africains, 48% de la population en dépendent, dont 70% en Afrique de l’Est.

Un sous-sol riche, des populations pauvres
En dépit de ces innombrables richesses naturelles, l’Afrique baigne toujours dans la précarité. L’insécurité alimentaire y demeure encore une triste réalité. D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation, la famine touche en 2013 840 millions de personnes dans le monde, dont 21% en Afrique subsaharienne (223 millions), soit un africain sur cinq. C’est le pourcentage le plus élevé du monde ! Les femmes et les enfants sont les couches les plus vulnérables. «L’insécurité alimentaire frappe davantage les jeunes enfants et leurs mères : au sein même des familles, – les aliments les plus riches étant parfois réservés pour les hommes -, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes sont plus sensibles aux carences alimentaires. La malnutrition infantile, peut affecter durablement les capacités intellectuelles et physiques et hypothéquer l’avenir de franges entières de la population. Entre 7 et 16 % des redoublements à l’école sont liés à la malnutrition », un récent rapport du NEPAD sur les « Agricultures africaines ». Bien évidemment, c’est le monde rural qui en pâtit le plus. «L’insécurité alimentaire est plus élevée en milieu rural qu’en ville parce que souvent ceux qui produisent des aliments le font en quantité insuffisante pour nourrir leur famille, faute d’accès adéquat aux moyens de production (terre, engrais, outils) et parce que les ruraux sont plus pauvres et qu’ils peinent à acheter la nourriture qui leur manque», indique le rapport. Toutefois, la courbe semble évoluer, ce phénomène qui était souvent seulement circonscrit en milieu rural, affecte de plus en plus les citadins, «cela découle mécaniquement du nombre grandissant d’urbains, dont une grande part a fui la pauvreté rurale. Mais cela tient aussi à la précarité des conditions de vie et d’emploi, ainsi qu’à des liens de solidarité familiaux ou de voisinage moins solides en milieu urbain».

L’équation de l’urbanisation
L’Afrique connait une urbanisation galopante. Les grandes métropoles reçoivent d’importants flux de personnes en provenance de la campagne. Les statistiques traduisent cette réalité. Deux africains sur cinq résident en ville. Le pourcentage le plus élevé est noté en Afrique de l’Ouest, où près de 45% de citadins. Une tendance qui devrait s’accroître au cours des prochaines années. Cette forte densité urbaine constitue un défi majeur, surtout en matière de consommation. Les habitudes alimentaires des citadins rendent encore plus complexe cette équation. Le “Consommer local” n’existe pas dans le menu des populations urbaines. Elles privilégient plus les produits fabriqués à base de céréales importées comme le blé, le riz, ou encore le maïs, au détriment des céréales locales. D’où la nécessité de mettre en place une alternative pour les inciter à consommer les produits “made in Afrique”, qui coûtent moins chers.

Les financements agricoles, le talon d’Achille
Le manque de financements dans l’agriculture est l’un des freins pour son développement. Le secteur agricole semble être relégué au second plan dans les dépenses publiques des Etats africains. A titre illustratif, en 2010, sur 44 pays membres de l’Union africaine (UA), seuls 9 ont réservé 10% de leur budget à l’agriculture, contre 22 pays qui ont alloué moins de 5% de leurs financements au secteur. «Les ressources de l’aide publique au développement (APD) allouées à l’agriculture ont considérablement diminué en 30 ans : de 16 % de l’APD totale en 1980 à 3 % en 2006. Comme dans l’analyse des budgets publics, il y a un décrochage complet entre l’importance économique et sociale du secteur agricole et l’affectation des ressources», regrette le NEPAD dans son rapport. Ces choix politiques handicapent considérablement le rendement des producteurs. Dépourvus de moyens et de ressources adéquats, ces derniers peinent à réaliser des récoltes abondantes pour nourrir leurs concitoyens. Faute de financements et de visions, les produits agricoles africains pèsent peu dans la balance des exportations. L’Afrique détient 24% des terres agricoles mais ne représente que 9% de la production agricole mondiale depuis 40 ans. Pis, son pourcentage dans les exportations agricoles mondiales ne cesse de dégringoler, passant de 0% en 1960 à seulement 3 % en 2010. «L’essentiel de la production africaine de produits de base non miniers, et notamment de denrées alimentaires, est destiné à la consommation intérieure. Les produits agricoles non alimentaires représentent seulement 2 % de la production agricole africaine, et la contribution du continent à la production mondiale est passée de 8 à 6 % en dix ans. Pour accroître la production agricole, il ne s’agit pas d’explorer de nouvelles réserves, mais avant tout d’instaurer des conditions favorables au secteur, de développer un savoir pointu par le biais de la recherche appliquée et d’en faciliter la mise en œuvre», souligne le rapport “Perspectives économiques en Afrique, 2013”. La transformation agroalimentaire pourrait rentrer dans le cadre de cette recherche appliquée. Elle peut être une sérieuse alternative pour nourrir les 2 milliards d’Africains à l’horizon 2050, un important pourvoyeur d’emplois via l’industrialisation, et une réelle opportunité pour booster les exportations.

Par E. S.