Près de 50 milliards, soit 29,6 milliards auxquels s’est ajouté une enveloppe additionnelle de 20 milliards f CFA, pour la réalisation du Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), projet de développement qui a suscité beaucoup d’espoir, ne peuvent s’évaporer… Les DAC tardent à sortir de terre, en dépit de débours à coups de milliards f CFA.
Daouda MBaye, rédacteur en chef
Avec la grosse déconvenue du Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC) qui défraie la chronique au Sénégal, il est légitime de se demander comment cela se fait-il que dans ce pays pauvre très endetté (PPTE), des investissements à coups de milliards f FCA puissent disparaître de bilans sans que l’actif ne soit illustré par une réalisation ?
Ce projet est revenu aux devants de la scène politique, suite au procès pour diffamation intenté par Mame Mbaye Niang, actuel ministre du Tourisme et ex-ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et de la construction citoyenne (JECC), qui assurait la tutelle du PRODAC, contre l’opposant Ousmane Sonko, leader du Pastef. Ce dernier affirmait dans un de ces discours, faisant un lapsus linguae, que le ministre de tutelle a été épinglé dans un rapport de l’IGE au lieu de l’IGF. Comme dans « Les Animaux malades de la Peste », Mame Mbaye Niang cria « Haro sur le baudet ! ». On connait la suite. Après le verdict du Tribunal de Grande instance de Dakar, le 30 mars 2023, pour 2 mois de prison avec sursis et 200 millions de dommages et intérêts, ce dernier s’est d’abord dit blanchi, avant d’interjeter appel, le lendemain- ce n’était pas un poisson d’avril- de concert avec le parquet. Le pool d’avocats de la défense du président du Pastef, qui ont tenu une conférence de presse jeudi 06 avril 2023 à Dakar, ont dépeint une série de manquements, se réservant de revenir à la charge. Rappelons que leur client, brutalisé, molesté et gazé par des lacrymogènes et produits toxiques -à déterminer, puisque des échantillons ont été confiés à des laboratoires à l’étranger- absent au tribunal, 3 certificats médicaux produits, a été jugé sans ses avocats. Le juge Mamadou Yakham Keïta en avait ainsi décidé dans un jugement en référé. Pour la petite histoire si la cour a permis la plaidoirie de Me Oliver Sur du Barreau de Paris, avocat de Mame Mbaye Niang, par contre Me Juan Branco du Barreau de Paris, descendu à l’aéroport international Blaise Diagne, a été éconduit en France, manu militari. Le ministre de l’Intérieur du Sénégal, Antoine Félix Diome, lui a reproché d’avoir, dans un tweet, qualifié le Président Macky Sall de tyran et appelé les sénégalais à l’insurrection.
Une hydre à plusieurs têtes
Face à ce qui ressemble à un énième épisode d’un long feuilleton, loin d’être achevé, les populations du Sénégal attendent que toute la lumière soit faite sur le dossier PRODAC pour lequel une enveloppe financière de la BID à l’Etat du Sénégal monte à 47 milliards f CFA.
En réalité, de quoi s’agit-il ? Rapport ou VAF (Vérification administrative et financière), importe peu ! Le sénégalais lambda, qui trouve que l’essentiel se trouve dans la concrétisation de la souveraineté alimentaire, continue de déplorer un chômage qui sévit plus que jamais. Le Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), qui devrait apporter rapidement, à sa mise en route, une contribution non négligeable à la solution à ces problématiques, notamment avec les aménagements des 4 DAC de Keur Momar Sarr (Louga), Keur Samba Kane (Diourbel), Itato (Kédougou) et Séfa (Sédhiou), s’avère être un véritable échec.
Dans son livre intitulé « Lettre au peuple : PRODAC, un festin de 36 milliards de francs CFA », le coordonnateur du Forum Civil, Birahim Seck, a révélé que l’Etat du Sénégal ne s’est pas engagé que sur 29 milliards de FCFA, mais plutôt sur 36 milliards de f CFA, suivant une programmation de remboursement.»
D’un document qui nous est parvenu, il est précisé que dans la première phase quinquennale, quelque 30 000 ha de terres aménagées sur 10 terroirs devraient bénéficier aux jeunes entrepreneurs agricoles.
Telles des chimères, ces DAC tardent à voir le jour 8 ans après l’entame des travaux. D’innombrables manquements ont été relevés. Le dossier implique Mame Mbaye Niang, ex-ministre de la Jeunesse, de l’emploi et de la construction citoyenne et actuel ministre du Tourisme, dont le département assurait la tutelle et les deux premiers coordonnateurs du PRODAC, à savoir Jean-Pierre Senghor et Mamina Daffé.
Décès de Samba Laobé Dieng, Inspecteur général de finances, et poursuite du dossier
D’abord, des inspecteurs des finances qui ont reçu mandat de procéder à la VAF sous la supervision de Samba Laobé Dieng, Inspecteur général de finances, ont démasqué des malversations dans la gestion du PRODAC et dévoilé des cas de manquements et détournements de deniers publics sur ce PRODAC. Malheureusement, le superviseur de la Vérification administrative et financière (VAF) est décédé, le 1er octobre 2018.
Les investigations, entamées le 22 février 2017, avec des recommandations d’ordre disciplinaires précises, avaient été transmises au ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Ba. A noter qu’une instruction du Premier ministre à l’IGF pour une VAF de toutes les universités du Sénégal, retardera de 7 mois le chronogramme initialement établi. Lorsque le MEFP a réactivé la mission, redéfinie à une mission d’examen du contrat n°T1962/15 PRODAC-GREEN 2000 (entreprise israélienne), relatif aux études et aménagements hydroagricoles des DAC. Face à la pauvreté de la documentation remise par le maître d’ouvrage, la phase de collecte d’informations a duré plus que prévue. Aussi, dans l’impossibilité d’assurer un traitement équilibré et équitable des parties prenantes, la mission IGF a décidé d’interpeller les autres acteurs, singulièrement le bailleur de l’opération, LOCAFRIQUE.
Une convention de crédit à moyen terme a été conclu entre l’Etat du Sénégal et la Compagnie ouest africaine de Crédit-bail, LOCAFRIQUE, pour le financement du PRODAC, à hauteur de 29 600 536 000 f CFA, un coût qui n’intègre pas le prix des intrants (engrais, semences…). L’essentiel des documents nécessaires a été reçu le 30 janvier 2018. Une série d’auditions s’en est suivie. Chronologiquement, Ibrahima Cissé, gérant de TIDA (contrat n°058MJECCPRODACCN/SP), Maïmouna Ndour Faye, DG du cabinet de conseil en communication 3 M Universel, ont été entendus le 20 février 2018, tandis que le 23 février 2018, ce fut le tour de Mamadou Lamine Camara, Dg de ITAA (International Transit Al Amine). Mamina Daffé, Coordonnateur du PRODAC, sera auditionné le 7 mars 2018, juste avant son prédécesseur Jean-Pierre Senghor le sera le 13 mars 2018. Enfin, le 15 mars 2018, ce sera au tour de Daniel Pinhassi, coordonnateur général du Projet GREEN 2000.
Une mission d’examen, menée avec minutie
A l’issue des auditions, Jean-Pierre Senghor, qui avait promis de la documentation complémentaire, ne remit aucune pièce. Le rapport fera une analyse linéaire du processus de la phase préparatoire à celle de la mise en œuvre en passant par l’étape décisive de la l’élaboration et de la signature du contrat.
PRODAC a saisi la DCMP (Direction centrale des marchés publics) pour obtenir l’autorisation de passer une entente directe avec GREEN 2000. En prétexte, PRODAC a évoqué le souci d’accélérer le processus de contractualisation pour éviter tout retard sans le démarrage des travaux de réalisation des premières Unités autonomes d’exploitation (UAE) compte tenu des engagements pris en termes de création massive d’emplois et de l’impatience des jeunes, futurs bénéficiaires.
A cela PRODAC a ajouté l’expertise « unique » de GREEN 2000, qui a développé le concept Agriculture Service & Training Centers, seule entreprise à même de réaliser parfaitement le modèle souhaité dans la séquence temporelle souhaitée (moins de 8 mois). En dépit des actes et documents produits par GREEN 2000, relativement au monopole exclusif du modèle et du brevet délivré par l’Office israélien des Brevets, la DCMP a fini par émettre une objection de la requête du PRODAC, évoquant l’article 76 du Code des Marchés Publics (exclusivité sous le fondement de l’impossibilité du principe de substituabilité), suggérant un appel d’offres international en procédure d’urgence…
Une kyrielle d’insuffisances relevées par le rapport
Arguant toujours l’urgence, PRODAC ne l’entendit pas de cette oreille et finit par saisir l’Autorité de régulation des Marchés publics (ARMP) par lettre le 10 juillet 2015, une demande d’autorisation de conclure à titre exceptionnel, un marché par entente directe avec GREEN 2000. La décision n°198/15/ARMP/CRD du 15 juillet 2015 de contracter, sans spécifier de montants, avec l’entreprise israélienne sur la réalisation des 4 DAC respectivement à Louga, Diourbel, Kédougou et Sédhiou (maïs, gombo, piment, patate douce et oignon), sera accordée. Le rapport de l’IGF déplorera cette absence de montants., suggérant que pour un meilleur encadrement de la procédure dérogatoire, cette lacune soit corrigée à l’avenir.
Déjà dans la phase antérieure à la signature du contrat avec GREEN 2000, l’IGF a déploré des écarts, particulièrement le défaut d’une équipe de projet pour conduire les négociations, la non définition d’un cahier de charges, mais aussi des failles dans la phase d’élaboration et de stabilisation des clauses contractuelles, notamment sur l’objet du contrat (29,6 milliards f CFA pour la mise en place de 4 cœurs de DAC de 130 ha et non de DAC complets, mettant en péril l’objectif stratégique de création massive d’emplois), l’hérésie procédurale de choisir CIF dans un contrat clé en main, la non définition du pourcentage applicable au titre de la garantie de bonne exécution (GBE)…
D’autres insuffisances seront relevées dans la mise en œuvre du contrat, à savoir un retard d’un an dans la notification du contrat, l’émission d’un ordre de service de démarrage n° 0151/MJECC/SG/CAB/SP du 24 mars 2016, antérieur à la notification et l’enregistrement du contrat, la non souscription de polices d’assurance par GREEN 2000 relativement aux ouvrages. LOCAFRIQUE démarrera alors les paiements le 30 mai 2016. D’autres suivront suite aux courriers de Jean-Pierre Senghor.
La suite des manquements, ordres de paiement antidatés, ou encore la difficile corrélation entre le taux de décaissements et le niveau d’exécution physique, sont loin d’être exhaustives. Suite aux alertes de LOCAFRIQUE sur le non-respect par GREE 2000 de ses obligations contractuelles. Par lettre estampillée confidentiel n° 0020MJECC/CAB/DC du 8 novembre 2016, Mame Mbaye Niang saisit le MEFP d’une requête aux fins de réalisation, par IGF, d’un audit financier et comptable du PRODAC. Néanmoins, il adressera une lettre n°0026/MJECC/CAB/DC/SP du 13 mars 2017 enregistré le 21 mars chez le bailleur, demandant à LOCAFRIQUE de diligenter les décaissements pour le compte de GREEN 2000, afin de permettre l’inauguration des DAC de Séfa et Keur Momar Sarr.
En définitive, l’essentiel des virements effectués par LOCAFRIQUE dans le compte de GREEN 2000 ouvert à Hapolim Bank est confiné dans le rapport de l’IGF. Il conclut que si le projet GREEN est poursuivi, il devrait coûter à l’Eta du Sénégal 36 575 162 295 f CFA.
Recommandations et poursuites
Parmi les recommandations du MEFP, la demande à l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) de « traduire M. Ibrahima Cissé, gérant de la société TIDA devant les juridictions pénales pour faux et usage de faux, escroquerie sur les deniers publics ayant entraîné un préjudice financier de 517 864 401 f CFA.
L’IGF a recommandé aussi de « traduire M. Jean-Pierre Senghor devant la Cour des Comptes pour validation de demandes de paiement de l’avance de démarrage avant même et la notification de l’enregistrement du contrat, validation des trois premières tranches de l’avance de démarrage (3 762 287 946 f CFA) sans versement, par Green, de la caution exigée, validation des demandes de paiements sans aucun contrôle préalable pour un montant de 5 957 099 077 f CFA.
En outre, l’IGF a recommandé de traduire M. Mamina Daffé devant la Cour des comptes pour validation de quatrième tranche de l’avance de démarrage (1 254 095 982 f CFA) sans versement, par Green, de la caution exigée, validation des demandes de paiement sans aucun contrôle préalable pour un montant de 6 818 541 823 f CFA, validation d’une demande de paiement d’une dépense de communication de 63 950 000 f CFA à la 7TV, dirigée par Maïmouna Ndour Faye, en violation des procédures de la commande publique et d’exécution des dépenses publiques.
A noter que l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) avait ouvert une enquête et des agents de ce programme avaient été entendus. L’IGF avait donc bien décelé des manquements dans l’objet du contrat de 29 600 536 000 f CFA pour la mise en place des 04 cœurs de Domaines agricoles communautaires (DAC) de 130 ha et non de DAC complets. Pour rappel, lors du débat d’orientation budgétaire marquant la clôture de la session ordinaire unique de l’Assemblée nationale, en décembre 2018, Amadou Ba, ministre de l’Economie et des Finances d’alors et actuel Premier ministre, faisait le constat… Comment Mame Mbaye Niang, qui assurait la tutelle du PRODAC, qui diligentait les décaissements au profit de GREEN 2000, peut-il être exempt de tout reproche ?
Aujourd’hui, au-delà de ce procès pour diffamation, l’exigence de transparence sur l’affaire PRODAC destinés à la réalisation des 04 cœurs de DAC, est plus que d’actualité.