Mossadeck Bally n’est plus à présenter. Ce grand homme d’affaires a su s’imposer, à travers son groupe Azalai Hotels, comme un des mastodontes dans le secteur de l’hôtellerie sur le continent. Dans ce grand entretien accordé à African Business Journal, il nous explique les facteurs clés de succès du projet Azalai, le développement d’une chaîne d’hôtels dans la zone UEMOA, et dans le reste de l’Afrique. Il évoque aussi le positionnement du groupe par rapport à la concurrence, les nouvelles menaces liées au terrorisme dans la bande sahélo sahélienne, sans oublier les nouveaux concurrents comme Airbnb et autres Booking qui bouleversent les codes de l’hôtellerie dans le monde.
« L’Afrique est une destination incontournable pour l’hôtellerie d’affaires »
Fin 1993, en tant que DG de l’entreprise familiale Bally SA, vous avez voulu, dans un premier temps, investir dans une usine de jus de mangue, avant de vous tourner vers l’hôtellerie. Plus de 20 ans plus tard, vous ne semblez pas regretter ce choix. Peut-on connaître les facteurs clés du succès du projet Azalaï?
Le succès du Groupe Azalaï repose essentiellement sur la qualité du service fourni au client, et la recherche permanente de la pleine satisfaction de notre clientèle. Notre unicité et notre africanité font de nous une chaîne hôtelière remarquable. Un hôtel Azalaï, c’est d’abord un hôtel où on retrouve l’Afrique et sa légendaire hospitalité, la courtoisie, la chaleur du service. Au tout début de la conception de nos hôtels, nous demandons à nos architectes, ingénieurs et décorateurs de mettre l’Afrique dans nos hôtels. Nous souhaitons que lorsqu’un client vient d’un pays lointain, il découvre l‘Afrique dans nos hôtels.
C’est aussi une certaine façon de recevoir, d’accueil avec le cœur et la sincérité. Nous retrouvons l’Afrique dans notre restauration à travers un concept culinaire afro-fusion, dans les chambres avec les mobiliers et les objets d’art africain. C’est cet ensemble tout entier qui fait que nous avons l’Afrique dans notre ADN.
En plus de véhiculer l’Afrique dans nos unités, la qualité de notre service est basée sur nos valeurs qui sont la rigueur, l’écoute, le respect, l’humilité et l’hospitalité.
Aujourd’hui, vous disposez de dix hôtels dont le dernier a été ouvert récemment dans le quartier Marcory à Abidjan. En s’implantant en Côte d’Ivoire, première puissance économique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), est-ce une manière de rehausser le positionnement de votre groupe, dans un environnement marqué par une forte concurrence?
Investir en Côte d’Ivoire, locomotive de l’espace ouest-africain, est un privilège et toute entreprise visionnaire ne devrait pas hésiter à venir dans ce pays. C’est le plus grand établissement jamais construit par nous. Cet hôtel, d’un standing 4 étoiles, nous aura coûté environ 25 milliards de FCFA, soit environ 38 millions d’euros d’investissement et a notamment bénéficié de l’appui de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), de la Société financière internationale (SFI) et de trois banques commerciales ivoiriennes (BOA, NSIA, Banque Atlantique).
L’ouvrage de 14 étages, 200 chambres, dont 4 suites junior et présidentielles contribuent à donner un contenu visible, palpable, réaliste et futuriste à l’émergence de la Côte d’Ivoire. Abidjan est aujourd’hui l’eldorado pour tout investisseur et il y a de la place pour tout le monde. Nous avons fait le choix de la commune de Marcory après des études d’une structure spécialisée basée à Londres, car elle présente tous les atouts pour le type d’activité que nous initions en Côte d’Ivoire. Azalai Hôtel Abidjan est à 10 minutes de l’aéroport, à 10 minutes du port et à 10 minutes du centre-ville, le Plateau.
Et la commune de Marcory est très certainement la commune la plus vivante d’Abidjan avec ses nombreux commerces, shopping mall et restaurants.
D’après nos informations, Azalaï prévoit de s’implanter en Afrique de l’Est ; avec l’ouverture d’un hôtel au Rwanda sur un terrain acquis depuis 2014. Qu’en est-il réellement?
Comme vous le voyez, notre ambition était d’implanter un hôtel Azalaï dans les 8 pays de l’UEMOA. Nous y sommes quasiment excepté le Togo où nous n’avons ni hôtel ni projet en cours de réalisation. Mais j’espère que cela va se corriger rapidement.
Nous comptons développer la marque Azalaï au niveau de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), c’est pour cela que nous avons entamé un projet en Guinée Conakry et ensuite nous allons attaquer les autres pays de la CEDEAO et notamment les pays anglophones tels que le Nigeria et le Ghana. Nous avons aussi ouvert en 2016 un hôtel à Nouakchott.
Notre équipe de prospection et de développement est effectivement très active et le Rwanda comme la République démocratique du Congo et le Cameroun font partie des pays que nous scrutons actuellement.
Le terrorisme constitue une réelle menace pour les pays de la zone du Sahel. La crise malienne de 2012 avait d’ailleurs impacté négativement vos activités dans ce pays. Que faites-vous pour gérer ce climat d’instabilité?
En 2012, les activités hôtelières ont régressé à cause de la crise qu’a connue le Mali. Nous avons été obligés de fermer deux de nos unités de Bamako pendant près de 6 mois. Il y a ensuite eu une courte période de reprise en 2014, puis nous avons souffert des attaques terroristes de 2015 qui continuent de marquer les esprits. Les attaques terroristes ont, certes, eu un impact négatif sur notre secteur d’activité, mais nous restons confiants dans l’avenir.
Pour répondre à cette menace terroriste, nous avons massivement investi dans la sécurisation de nos hôtels, aussi bien au Mali que dans tous les autres pays de présence du Groupe Azalaï. Nous avons mis en place un comité de sécurité et de gestion de crise et des responsables sécurité sur nos unités, qui déroulent le plan d’action sécuritaire du groupe, recrutent, forment les ressources humaines et mettent en place les équipements nécessaires. Nous prenons également en compte l’aspect sécuritaire dans nos projets de construction.
L’Afrique a tout de même enregistré une croissance de 8% des arrivées touristiques au cours des dix premiers mois de 2017, selon le Baromètre du tourisme mondial publié par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). D’après vous, quelles sont les raisons qui expliquent cette attractivité touristique du continent?
L’Afrique, en général, a la réputation d’un continent riche en ressources naturelles et socioculturelles, ce qui, normalement, devrait lui permettre de se faire une place de choix dans le domaine du tourisme mondial. L’Afrique est aujourd’hui une destination incontournable pour l’hôtellerie d’affaires et de loisirs. Le continent s’ouvre, son économie se libéralise, les politiques macroéconomiques sont plus affinées, les déficits budgétaires se résorbent, la démographie est dynamique et tout reste donc à construire. C’est, en effet, l’unique continent qui n’a pas encore amorcé son décollage économique. Les opportunités sont donc immenses ce qui attire les investisseurs et les touristes de loisirs.
Cependant, le développement du secteur hôtelier est souvent freiné par de nombreux obstacles au nombre desquels nous pouvons citer : le sous-développement économique dans bon nombre de pays ; le déficit en équipements et en infrastructures économiques, la rareté du foncier et son coût élevé ; le coût élevé du transport aérien sur le continent, la rareté de l’électricité et son coût exorbitant et les tensions politiques (guerres et conflits…). Sans mentionner le manque criant de ressources humaines qualifiées. Le fait d’encourager les investisseurs dans le secteur en levant les barrières liées à la création d’entreprise et à la taxation, de favoriser les initiatives locales et l’écotourisme, pour réduire l’exclusion, les inégalités et l’insécurité, aidera certainement à booster la croissance du tourisme dans notre région.
Vous aviez signé en 2014 un accord de partenariat de trois ans renouvelables avec le groupe hôtelier allemand Worldhotels pour attirer davantage la clientèle internationale. Avez-vous obtenu les résultats escomptés quatre ans plus tard?
En effet, ce partenariat a permis à nos hôtels d’être visibles sur les marchés internationaux auxquels nous n’avions pas accès auparavant. Nous avons bénéficié d’apports technologiques qui ont surtout impacté la productivité et l’efficacité des équipes commerciales.
D’après le «Hospitality Report Africa 2017», de grandes chaînes internationales comme Hilton WorldWide et Marriott prévoient la construction de 260 hôtels d’une capacité de 48.974 chambres sur le continent. Quel est votre positionnement par rapport à la concurrence?
Nous apprécions la concurrence. Si j’avais peur de la concurrence, je ne serais pas un chef d’entreprise dans le secteur privé parce que j’estime que l’essence même du secteur privé c’est la compétition et se sont les meilleurs qui ont le droit de rester en vie. La concurrence est stimulante, car elle permet à ceux qui sont déjà là de s’améliorer. Le Groupe Azalaï est unique, car ayant l’Afrique dans son ADN. Nous aurons toujours notre place et une place de choix, aux côtés des mastodontes hôteliers internationaux. C’est aussi un signe de vitalité que de voir tous ces grands groupes venir investir sur le continent.
Des plateformes comme Airbnb sont devenues de sérieux concurrents pour les grands groupes hôteliers comme le vôtre. Misez-vous sur le digital pour faire face à ces nouveaux rivaux?
L’une des clés du développement de notre groupe repose sur les nouvelles technologies.
La digitalisation du secteur du tourisme est un enjeu crucial pour les acteurs de l’hébergement. Face aux nouveaux Big Tech et OTAs, il est nécessaire de répondre aux attentes d’une clientèle toujours plus connectée et de la fidéliser, en lui apportant des services personnalisés à forte valeur ajoutée.
Les nouvelles technologies nous permettent également d’optimiser les temps de réservation, les procédures de check-in/out, de réduire les formalités administratives et d’améliorer de manière générale l’expérience client. Elle permet aussi d’optimiser la récolte de données de façon plus précise et structurée, pour le suivi et la fidélisation de la clientèle.
Plusieurs acteurs déplorent le manque de ressources humaines qualifiées au niveau continental. Est-ce un handicap pour la croissance du secteur?
Absolument. C’est un défi très difficile à relever. Dans la plupart de nos pays, les gouvernements ont comme slogan de développer le tourisme parce que c’est une industrie qui crée énormément d’emplois, qui fait rentrer des devises, qui paye des taxes, surtout au niveau des communautés locales, et qui fait travailler beaucoup de gens. Malheureusement et souvent, on ne retrouve pas cette volonté politique dans les actes, et notamment en termes de formation, que ce soit de la formation continue, de la formation par alternance ou même de la formation académique. Quand on prend un pays comme le Maroc, qui a compris que le tourisme c’est d’abord et avant tout la formation, aujourd’hui il accueille plus de 10 millions de visiteurs et en 2020 leur ambition est d’accueillir 20 millions de visiteurs. Le défi d’obtenir des ressources humaines de qualité est pour moi d’ailleurs le défi le plus important et j’espère que les industriels que nous sommes et les États nous allons nous donner la main pour pouvoir créer le maximum de centres de formation pour former nos jeunes aux métiers du tourisme et de l’hôtellerie.
Le capital de votre groupe est détenu à 100% par des Africains. Prévoyez-vous de l’ouvrir à des particuliers ou fonds étrangers dans le cadre de votre développement?
Tout est envisageable. Cela dépendra de notre développement et des besoins en fonds propres pour le financer.
Quels sont vos projets phares durant les trois prochaines années?
Notre but, c’est d’être présents dans les huit pays de l’UEMOA et ensuite dans les 15 pays de la CEDEAO. Comme expliqué plus haut, nous avons aussi commencé les prospections en Afrique centrale. Nous prévoyons, grâce à un plan développement stratégique, d’investir dans la sous-région pour répondre à l’accroissement de la demande et ouvrir de nouveaux hôtels Azalaï d’ici à 2020. Les projets d’ouverture des prochaines unités sont prévus à Dakar au Sénégal, à Niamey au Niger et à Conakry en Guinée.
Nous avons des projets de création de nouvelles marques répondant à une demande actuelle de la clientèle, de la formation plus accrue de nos ressources humaines, grâce à la création d’écoles hôtelières d’application. Et surtout de renforcer nos actions sociales à l’endroit des communautés que nous côtoyons, pour créer davantage d’emplois dans la sous-région et donc de la valeur ajoutée.
Réalisé par Elimane Sembène