La rédaction a décrypté pour vous cette conférence du Pr Cheikh Anta Diop sur « L’apport de l’Afrique à la civilisation universelle » à Niamey au Niger, en 1984, mais d’une telle acuité que nous vous partageons son intervention. (Suite).
Décryptée par Daouda Mbaye
L’Homo Erectus est sorti de l’Afrique, très probablement il y a 1 700 000 ans. Il y avait 2 voies de sortie pour cette humanité, soit par l’isthme de Suez, soit par le détroit de Gibraltar. Ce sont les voies qui ont été pratiquées par la première humanité née en Afrique, sous la latitude du Kenya, dans cette région de l’Afrique de l’Est qui comprend à la fois l’Éthiopie, la Tanzanie et même l’Afrique du Sud. L’Homo Erectus est entré en Europe il y a environ 400 000 ans. Il a été suivi par l’homme de Neandertal très probablement vers 100 000 ou 150 000 ans. Et l’Homo Sapiens Sapiens, c’est-à-dire l’homme, qui est comme vous et moi, la dernière forme de l’humanité, est sorti de l’Afrique, il y a 40 000 ans, et est allé peupler l’Europe.
Voilà donc le processus de l’apparition de l’Humanité et aussi le déplacement de cette humanité vers les autres continents.
Une seule humanité, puis…
Si l’Humanité était restée seulement en Afrique, elle ne se serait pas différenciée en races. L’Afrique ne présente pas une climatologie qui ne justifie pas extrêmement la différenciation raciale. Donc, la race est une notion géographique. Et c’est parce que l’Homo Sapiens Sapiens est sorti de l’Afrique, il y a 40 000 ans, pour aller peupler l’Europe en particulier qu’il est entré en Espagne et en France, où il a séjourné dans des conditions extrêmement dures, pendant la dernière glaciation. C’est par cette sortie qu’il s’est opéré une différenciation raciale… L’Humanité, qui est née en Afrique, il y a 120 000 ans, en l’espèce de l’Homo Sapiens Sapiens, était nécessairement négroïde. Des organismes supérieurs, nés sous la latitude du Kenya, pour survivre dans les conditions de la préhistoire devraient être nécessairement pigmentés. L’organisme devrait être nécessairement protégé des flux des rayons ultraviolets sous cette latitude pour survivre. Donc, l’écran de mélanine est fonctionnel, c’est un bouclier qui protège. C’est la raison pour laquelle cette Humanité qui était née par hasard en Afrique était nécessairement négroïde.
En émigrant dans les conditions de la préhistoire pour aller en Europe, elle s’est adaptée à d’autres conditions diamétralement opposées à celles de l’Afrique, c’est pour cela qu’elle a progressivement blanchi pour devenir leucoderme. Ce laps de temps qui est évalué à peu près à 20 000 ans si nous considérons l’époque de la date de l’homme de Grimaldi, c’est-à-dire du premier Africain en Europe. Cet homme de Grimaldi est entré en Europe il y a 40 000 ans. Il est resté sur place jusqu’à -20 000 ans pour qu’apparaisse pour la première fois sur la planète la morphologie du leucoderme et, par conséquent, le type humain qu’on appelle la race de Cro-Magnon.
Il faudra attendre encore 15 000 ans pour qu’apparaisse le type qu’on appelle communément l’homme de la Chancelade qui serait le prototype du jaune.
Pendant le paléolithique supérieur, voilà les 3 races qui vont exister dans les conditions de la glaciation biomienne. La toute première noire s’est étendue de l’Europe de l’Ouest jusqu’au lac Baïkal, à travers la Crimée, le bassin du Don, toute la région de l’Europe actuelle, on trouvait, il y a 32 000 ans, une seule humanité qui est cette humanité négroïde.
La thèse monogénétique l’emporte sur la polycentrique
En s’expatriant, elle s’est différenciée. C’est la même Humanité qui a fini vers -15 000 ans et qui a traversé le détroit de Behring pour aller peupler les 3 Amériques. Justement, le peuplement de l’Amérique est une confirmation de l’origine monogénétique de l’Humanité. Parce qu’en Amérique, vous avez toutes les transitions climatiques depuis la Terre de Feu jusqu’en Alaska. Mais l’Amérique n’a pas connu d’hommes fossiles. Il n’y a en Amérique ni d’Australopithèque Robustus, ni d’Australopithèque Gracile, ni d’homo Habilis, ni d’Homo Erectus. Je viens de vous dire que les 3 premières variétés ne sont pas sorties d’Afrique, c’est tout à fait normal qu’on ne les trouve pas en Amérique. L’Homo Erectus, tout comme l’Homme de Neandertal, est sorti de l’Afrique, mais on ne le trouve pas en Amérique. Donc, nous voyons bien que l’origine monogénétique de l’Humanité, qui au premier abord paraissait relativement invraisemblable, est confirmée par l’archéologie préhistorique.
Si j’avais un peu plus de temps, j’aurais parlé de la philosophie qui sous-tend les deux thèses qui s’affrontent aujourd’hui dans le domaine de la théorie de l’hominisation. Il y a la thèse monogénétique qui s’appuie sur toutes les données de l’archéologie préhistorique. À côté, il y a la thèse polycentrique qui voudrait que certaines conditions étant réunies, la nature ait créé ici un homme jaune, là un homme blanc et ailleurs un homme noir. Cette thèse si elle est celle du bon sens n’est pas confirmée par les faits d’archéologie préhistorique. Si on y regarde de plus près, elle est même la plus invraisemblable, parce qu’il est improbable que la nature au cours de son évolution passe deux fois par le même point. Bref, c’est la thèse monogénétique qui est confirmée. La thèse polycentrique est sous-tendue par des préoccupations raciales pour ne pas dire racistes.
La suite à lire mercredi 24 février 2021