De jeunes entrepreneurs africains rivalisent d’ingéniosité en créant des applications qui facilitent et améliorent le niveau des élèves et étudiants du continent. Une aubaine pour le système éducatif et une alternative pour réduire la fracture numérique. Incursion dans l’univers de l’Edtech africaine.

C’est un secret de Polichinelle, l’accès à l’éducation demeure encore un luxe pour des milliers d’élèves en Afrique. D’après un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation et la culture (Unesco), près de 30 millions d’enfants africains n’étaient pas scolarisés en 2011, soit la moitié de l’ensemble des enfants scolairement exclus à travers le monde, estimés à 58 millions. La Banque mondiale, dans son rapport intitulé « Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation », publié durant le premier trimestre 2018, révèle qu’en Afrique, on scolarise plus qu’on enseigne. Le taux de scolarisation au primaire qui a connu un développement exponentiel au cours des trente dernières années (90%) contraste avec l’inquiétante faiblesse de niveau des écoliers, aussi bien en lecture qu’en mathématiques. Pour étayer leurs arguments, les experts de l’institution de Breton Woods citent le cas du Niger où seuls 3% des enfants du CM2 auraient un niveau de langue satisfaisant, et du Malawi où plus de 90% des élèves en fin de CE1 sont incapables de lire un mot. Un paradoxe saisissant.
À la lecture de ces statistiques effarantes, on constate que le risque est grand de voir les fruits de l’apprentissage ne pas tenir la promesse de l’éducation. Pour inverser cette tendance et raviver la flamme de l’espoir, des startups africaines proposent des technologies éducatives, communément appelées Edtech, dotées de plusieurs fonctionnalités. Des outils qui révolutionnent l’apprentissage sur le continent.



Susciter la passion scientifique via la technologie
Au Sénégal, la startup Mjangale propose des applications mobiles et kits éducatifs pour les élèves du primaire et du secondaire dans les villes de Dakar, Thiès et Ziguinchor. Elle y organise des ateliers de formation en Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques (STEM) pour améliorer leur niveau scientifique et renforcer leurs compétences en TIC. Une des applications mobiles, destinées aux élèves âgés de 7 à 8 ans, leur permet d’apprendre de nouveaux mots en français qui sont écrits et lus à haute voix, de faire une dictée et de recevoir le score après les exercices, d’apprendre à faire l’addition, la soustraction et la multiplication. Les parents peuvent même se connecter pour évaluer les progrès de leurs progénitures, en français ou en wolof, pour faciliter l’accès aux personnes illettrées. Parallèlement, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, les mairies et des ONG, la startup organise des ateliers sur la programmation informatique. Au total, elle revendique plus de 750 élèves formés (dont 55% de filles) dans ces trois villes. Une innovation qui a permis à la startup sénégalaise de remporter, en 2016, le prix de la Startup africaine de l’année de l’association «Bonjour Idée».


L’Edtech, la Côte d’Ivoire s’y met aussi
. L’entrepreneur Thierry N’douffou a créé, en 2014, la « Qelasy » (salle de classe en langue Akan) considérée comme la première tablette éducative du continent. Elle permet aux jeunes (de la maternelle à l’université) de télécharger des milliers d’ouvrages et d’accéder à près de 800 vidéos éducatives tournées dans le pays. Pas moins de 200 écoles basées en Côte d’Ivoire, au Niger, au Burkina, au Congo et au Sénégal ont été équipées selon le promoteur. Selon lui, cet appareil de 8 pouces qui pèse 480 grammes résiste aux intempéries, à la poussière et à la chaleur. « Les contenus que nous proposons sont en partie interactifs. Des vidéos illustrent les cours et les élèves peuvent faire leurs exercices directement sur leur Qelasy. Ils ont un profil personnalisé pour suivre leur progression », indique-t-il au site usine-digitale.

L’intelligence artificielle et les dessins animés au rendez-vous
À l’est du continent, la révolution éducative semble aussi une réalité. En Ouganda, la startup BrainShare, fondée par Charles Muhindo, a mis en place une application web et mobile pour permettre aux étudiants d’échanger facilement leurs cours, notes, articles et autres travaux pratiques avec ou sans internet. Ils peuvent également poser leurs questions à distance à leurs camarades ou enseignants. Ces derniers peuvent s’y connecter pour proposer des devoirs et animer des séances de discussions avec les étudiants.


En Tanzanie, la bande dessinée éducative « Ubongo » apprend aux enfants les sciences, les mathématiques et des résolutions de problèmes. Grâce à ses dessins éducatifs, elle permet à ces écoliers d’améliorer leur niveau. Ils peuvent même interagir par SMS à partir de téléphones portables, répondre à des questions, obtenir les réactions et les encouragements des personnages de dessins animés. Sa réputation transcende les frontières tanzaniennes. Pas moins de 1,2 million de foyers d’Afrique de l’Est y ont accès chaque semaine.

Chez son voisin kenyan, l’ingéniosité est aussi de mise. La plateforme d’apprentissage en ligne M-Shule utilise l’intelligence artificielle, les neurosciences et la psychologie cognitive pour fournir un accompagnement adapté à chaque élève. Lancé officiellement en janvier 2018, ce service accessible avec un simple téléphone portable a déjà séduit au moins 70 écoles au Kenya, selon Claire Mongeau, cofondatrice de l’application. D’après elle, 380 élèves qui ont testé l’application entre mai et novembre 2017 ont vu leurs notes moyennes augmenter de 23% sur la période. M-Shule s’est ainsi adjugé le 3e prix du Cisco Global Problem Challenger le 21 mai 2018.

Un marché en pleine croissance
De l’autre côté, en Afrique centrale, plus précisément en RDC, l’entreprise Labes Key, spécialisée dans la promotion de l’enseignement numérique, propose «Schoolap», un site éducatif qui permet aux élèves de «tout le pays» d’accéder aux leçons et aux enseignants de consulter les programmes officiels. Le site lancé en 2018 comptabilisait 91 000 élèves en quelques mois après sa mise en ligne, selon les promoteurs. Une performance couronnée par le prix de la meilleure application Edtech au SeedStars Summit, organisé en avril 2019, en Suisse.

Le marché des technologies éducatives est en plein essor. En 2014, les dépenses éducatives ont atteint 5 milliards de dollars dans le monde, soit un marché 8 fois plus important que celui des logiciels, selon la plateforme SeedStars spécialisée dans l’écosystème numérique. Environ 9% des applications téléchargées sur App Store proposaient des contenus éducatifs. Cette tendance devrait se poursuivre pour permettre au secteur d’atteindre 252 milliards de dollars d’ici 2020. Les États-Unis restent le premier marché avec 60% des investissements Edtech sur l’ensemble des transactions effectuées dans le monde en 2015. L’Afrique est certes loin de ces standards mais réalise des avancées notoires dans ce secteur. «L’Afrique est en train de devenir l’un des marchés d’apprentissage en ligne les plus dynamiques, avec des revenus qui ont atteint 355 millions de dollars en 2013, qui ont plus que doublé pour atteindre 758 millions de dollars en 2018», indique la plateforme. Le Sénégal, la Zambie, le Kenya sont considérés comme les têtes de pont de cette révolution.

Par Baye Sakho