«La flamme de l’UMA (Union du Maghreb arabe, Ndlr) s’est éteinte, parce que la foi dans un intérêt commun a disparu !» En prononçant ces mots le 31 janvier 2017 à la tribune de l’Union africaine à Addis-Abeba, le Roi Mohammed VI avait fini d’entériner le divorce avec l’organisation maghrébine. La machine UMA, dont les cinq pays fondateurs (Maroc, Tunisie, Libye, Algérie, Mauritanie) ont voulu à maintes reprises relancer, semble enrayée et peu encline à déclencher une véritable intégration régionale (3% actuellement) plus d’un quart de siècle après sa création. Le Souverain avait implicitement jeté les bases d’une nouvelle union avec un partenaire non identifié. Le 25 février, son identité fut dévoilée : la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). La lettre de demande d’adhésion adressée par le Maroc à la présidente en exercice, Ellen Johnson Sirleaf, représente la demande de mariage.
Après avoir réintégré l’UA, le Maroc frappe à la porte d’une organisation qui regroupe 16 pays de l’Afrique de l’Ouest, ses plus proches voisins du Sud. Un terrain que le Royaume connaît bien pour y avoir consenti d’importants investissements. De la banque à l’immobilier, en passant par les télécoms, les assurances et les technologies financières. Sans oublier le futur gigantesque projet de gazoduc entre le Nigéria et l’Espagne via le Maroc (5.000 km) qui traversera toute la côte ouest. Son statut actuel de membre observateur de la Cedeao est donc tout à fait compréhensible. Mais aujourd’hui, le pays souhaite franchir un nouveau palier et devenir membre «à part entière».
À n’en pas douter, son intégration pourrait renforcer l’organisation et lui donner des ailes. Avec un marché de presque 400.000 consommateurs, une superficie de 6 millions de km2, un produit intérieur brut (PIB) total supérieur à 800 milliards de dollars, la Cedeao sera la 16e puissance mondiale devant la Turquie et talonnera l’Indonésie en termes de PIB. La présence d’un État au dynamisme économique avéré, de la deuxième puissance économique du continent (le Nigéria) et de la locomotive de l’ Union économique et monétaire ouest-africaine – Uemoa (la Côte d’Ivoire) devrait contribuer à son rayonnement économique.
Contrainte juridique
Toutefois, certaines contraintes pourraient remettre en cause cette adhésion. Les textes actuels de la Cedeao posent deux conditions pour être membre : être géographiquement situés en Afrique de l’Ouest et avoir signé le traité portant création de la Cedeao. Le Maroc ne remplit pas ces deux conditions.
D’autres équations se posent également. L’organisation sous-régionale a lancé ces dernières années d’ambitieux programmes pour accélérer l’intégration (10% actuellement) et mettre en place une future union économique et monétaire entre les États membres. Parmi ceux-ci, le projet de création de la monnaie unique «Eco» d’ici 2020. Rabat, dont sa monnaie, le dirham, est jalousement protégée par la Banque centrale Bank Al-Maghrib, est-il prêt à faire des concessions pour adopter cette devise commune?
Les futures cartes d’identité biométriques et passeports uniques qui devraient faciliter la circulation des personnes et des biens seront-ils réellement acceptés par un pays qui accueille déjà une forte communauté subsaharienne et qui s’affiche comme un partenaire privilégié de l’Europe dans la lutte contre l’émigration clandestine? Acceptera-t-il que la Cedeao s’immisce dans certains aspects de sa politique intérieure?
Quid des recettes douanières et fiscales?
Ces deux décennies, le Maroc a su mettre sur pied un tissu économique performant qui a fait ses preuves au niveau local. La densité du marché a poussé bon nombre d’entre eux, en particulier les PME, à aller prospecter dans d’autres horizons, notamment en Afrique de l’Ouest, et étendre leur niche. En dépit de l’imposition de taxes douanières, ces produits parviennent à s’imposer dans cet environnement extérieur. L’industrie locale est-elle prête à concurrencer la probable hausse de ces importations en provenance d’entreprises souvent plus solides ? Les échanges commerciaux asymétriques entre le Royaume et l’Afrique de l’Ouest (voir page 24) ne risquent-ils pas de se renforcer ? L’adhésion du Royaume, qui sera synonyme de lever des barrières douanières, ne va-t-elle pas constituer un manque à gagner pour la trésorerie de ces pays, vu l’importance de ses exportations ? Ces recettes douanières qui occupent une part importante dans ces budgets. À titre d’exemple, au Sénégal, elles étaient de 650 milliards de FCFA en 2016, sur un budget de 3.022 milliards de FCFA, soit un pourcentage de 21%.
Les grandes entreprises marocaines telles que Attijariwafa bank, BMCE Bank of Africa, le Groupe phosphatier OCP, la Banque Centrale Populaire (BCP) et Addoha ont pignon sur rue dans cette zone. Chaque entité compte quasiment une filiale dans les pays de l’Uemoa. Auront-elles besoin de se délocaliser dans ces contrées une fois leur pays admis au sein de la Cedeao, sachant qu’elles auront les mêmes droits que les autres homologues ? Quid des recettes fiscales qu’elles reversaient dans les pays d’implantation si l’on connaît leur poids dans ces économies ?
Autant d’interrogations qui interpellent les Chefs d’État et de gouvernements qui se réuniront lors du prochain sommet de la Cedeao en mai 2017 à Monrovia au Libéria. Ces «juges» qui devront statuer sur cette demande de mariage formulée par le Royaume.
Par Elimane Sembène