La journée du 15 mai 2023 a été marquée par des échauffourées entre manifestants et forces de police et de gendarmerie, à Ziguinchor au sud du Sénégal, mais aussi dans différents quartiers de Dakar, de Ndar (Saint-Louis), Kaolack… Les militants et sympathisants du leader du Pastef, Ousmane Sonko, s’opposent à son « enlèvement » par ces agents qu’aucune ordonnance de justice n’a instruit.

Daouda Mbaye, rédacteur en chef

La crise politique est-elle en train de s’installer au Sénégal ? L’utilisation démesurée de la force, par des agents surarmés face à des manifestants, dont le seul tort est de vouloir protéger leur leader, qu’une administration judiciaire est en train de persécuter depuis bientôt 3 ans, a fini par faire 4 morts, lundi 15 mai 2023. Les jeunes se sont constitués en bouclier pour éviter que leur leader soit enlevé et acheminé manu militari à un procès où on compte l’humilier.  Après la jeune Adji Diallo, 15 ans, tombée à Ngor la semaine dernière, tous les observateurs disaient que la coupe est pleine… hélas, non ! A la veille du procès du présumé viol de la masseuse Adji Raby Sarr par Ousmane Sonko, président du parti Pastef et maire de la ville de Ziguinchor, ce 16 mai, on compte encore des morts au Sénégal. Un jeune homme a succombé à ses blessures à Ziguinchor, suites aux tirs à bouts portant des policiers, tandis qu’un autre, âgé à peine de 11 ans, est mort à Keur Massar dans la banlieue de Dakar. Tous deux sont tombés après être touchés à la tête par des balles réelles. Quant au policier Hassime Diedhiou, un document officiel du ministère de l’Intérieur, rendu public hier, affirme qu’il a été heurté, le 15 mai à Ziguinchor, par un char du GMI (Groupement mobile d’intervention). Aux dernières nouvelles, son père a perdu la vie ; un infarctus lui a été fatal…

Dans un souci d’apaisement, le Tribunal de Dakar à renvoyer le procès au mardi 23 mai 2023. Ousmane Sonko est resté cette fois-ci à Ziguinchor dans son domicile familial. Relativement à ses précédents départs vers le tribunal, pendant lesquels sa résidence au quartier Keur Gorgui à Dakar, était bunkérisée, sans aucune ordonnance ou un quelconque mandat judiciaire, là une masse de femmes du bois sacré, des jeunes militants et sympathisants sont en bouclier.

A Dakar, il est arrivé que les forces spéciales d’élite, cagoulées et armées jusqu’aux dents et entourées de blindés, empêchent ses enfants d’aller à l’école, à sa femme de se rendre au travail ou lui refusent d’accomplir sa prière à la mosquée. A chaque veille de convocation au tribunal sur différentes affaires le concernant, c’était le même scénario. Pour rentrer ou sortir de la cité Keur Gorgui, il fallait passer par un sas, un filtre très fin… Comme si cela ne suffisait pas, à chaque fois ce fut un chemin de croix pour atteindre le tribunal ou en revenir. Il y eut les émeutes de mars 2021, les maltraitances de février 2023, la vitre de sa voiture a même été cassée pour l’extraire de son véhicule, on l’a gazé de lacrymogènes et dernièrement un agent innervant létal lui a été versé par ces agents dits force de défense et de sécurité… Les milliers de grenades lacrymogènes, de balles réelles, tirées non dans des angles de 45° mais à bout portant ont fini par faire une vingtaine de morts… Depuis aucune enquête d’une commission pourtant annoncée par le président de la République, au lendemain de la première vague en mars 2021.  Sonko avait décidé, après avoir produit tous les justificatifs et intenté plusieurs procès, une désobéissance civique contre cette justice aux ordres.

A Ziguinchor, c’est une autre paire de manches. La population refuse de céder. Les combats se poursuivent entre des jeunes qui jettent de pierres contre grenades lacrymogènes et balles réelles des policiers et gendarmes. Il est évoqué la possibilité d’un renvoi ou d’une contumace…

Une mascarade judiciaire pour éliminer un concurrent politique
Mais quid de l’affaire du présumé viol ? Il est utile de rappeler que la jeune dame qui a porté plainte, âgée d’une vingtaine d’années, a avoué à un guide religieux (Cheikh MC Niasse) avoir tout fomenté. En mars 2021, interviewée en prime time par des journalistes, en présence de son avocat, elle annonçait être enceinte, entre beaucoup d’autres incohérences… Elle n’a toujours pas accouché, au moment où je rédige ces lignes. Mieux, des pièces à conviction ont été versées dans le dossier par le juge d’instruction Mahame Diallo.

Excepté le jeune neveu d’un politicien de la mouvance présidentielle (Malick Mbaye), tous les témoignages sont à décharge. Parmi ces témoins que des hommes du pouvoir ont tenté de corrompre en vain, avant de les menacer (preuves à l’appui), Ndèye Khady Ndiaye (propriétaire de Sweet Beauty), son mari (Ibrahima Coulibaly), la co-masseuse (Mama Ba), le gynécologue (Dr Alfousseyni Gaye), le capitaine de gendarmerie Cheikh Oumar Touré, en charge de l’enquête, radié depuis de ce corps d’élite…

Un PMA, PPTE, à oligarchie outrecuidante
Au Sénégal, certes pays pauvre très endetté, mais jadis envié pour son régime démocratique, havre de paix où de surcroît la téranga (hospitalité en wolof) n’est pas un vain mot, un régime ultralibéral est en train de brouiller les cartes. Nombre d’observateurs trouvent que tous ces procès successifs sur le dos du leader du Pastef sont politiques. Le seul tort de cet inspecteur des impôts, radié depuis par l’omnipotent président sénégalais, est d’être incorruptible. Aussi, le projet, qu’il propose à ses compatriotes pour la présidentielle de 2024, tourne autour de la souveraineté retrouvée du Sénégal, un contrôle de ses ressources pour une industrialisation au service d’un développement inclusif. Ses ouvrages « Chronique d’une spoliation sur le pétrole et le gaz », « Solutions » contiennent l’essentiel de ce programme que nombre de jeunes sénégalais ont adopté. Au contraire d’un pouvoir qui brade ses ressources (Or, phosphates, hydrocarbures…) quitte à en détenir une infime part de 10%, il propose la majorité des participations à défaut de la totalité dans les périmètres à teneur plus élevée, une fois que les compétences seront bien acquises…

Le comble du paradoxe est un régime qui encourage au président actuel de rempiler, après ses deux mandats à la tête du pays de 2012 à 2024 (7 ans +5 ans). Sur ce volet, la Constitution est sans équivoque. Dans son article 27, elle stipule « Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs ». En termes de bilan du pouvoir en place, ce sont des présumés scandales de détournements de deniers publics, à coups de milliards f CFA, une industrie moribonde, des villes peu assainies, une économie plus informelle que jamais, un chômage endémique, une agriculture chahutée (des récoltes d’oignons ont été enterrées faute d’unités de stockage), à peine 36 km de rail électrique- vous avez bien lu, 36 km- d’un Train express rapide qui n’arrive pas à l’aéroport international le plus proche ! Etc.