Suite au Sommet digital portant sur la 13 ème Session extraordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine, tenu au début du mois de décembre, censé lui donner un coup de fouet, les Etats membres viennent de décider de lancer des activités commerciales, le 1er janvier 2021. De longues et fastidieuses négociations en perspective.
Conformément au calendrier de départ, le Jour de l’An, The Afro Champions Initiative ont lancé les bases du Marché unique africain (Creation of one African Market)… Signée par la quasi-totalité des Etats africains, à l’exception de l’Erythrée, mais non encore ratifiée par tous, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ne suscite pas partout le même enthousiasme. Ces dernières semaines, les ténors du continent ont tenté de redynamiser la mécanique. Le samedi 5 décembre dernier, c’est par la 13ème Session extraordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine sur la ZLECAf, sous forme de réunion virtuelle, sous la présidence de M. Cyril Ramaphosa, Président d’Afrique du Sud et Président de l’Union africaine (UA), que les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine ont souligné le besoin urgent pour les États membres de lancer des activités commerciales dans ce cadre. Aux euphoriques, il est utile de rappeler que le 1er janvier 2021 n’a marqué que le début des négociations de la ZLECAf, afin d’envisager l’adoption des instruments juridiques qui faciliteront son fonctionnement.
Le processus risque d’être long, tant les groupes de travail dans les différents chapitres auront du pain sur la planche (Legal & Institutional Affairs, Rules of origin, Non Tariffs Barriers & Barriers to Trade, Trade in services, Sanitary & PhytosanitaryMeasures, Customs Procedures, Trade Facilitation…). Néanmoins, à en croire le Président Cyril Ramaphosa, «aujourd’hui, nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère dans le progrès de notre continent. Le moment sur lequel nous avons tous travaillé avec acharnement est enfin arrivé… Nous sommes tous remplis d’un grand sentiment de fierté quant au chemin parcouru pour atteindre ce moment». En effet, le chemin a été long, depuis la Stratégie de Monrovia en 1979, suivie du Plan d’action de Lagos en 1980, du Traité d’Abuja en 1991 instituant la Communauté économique africaine en passant par la signature, en mars 2018 à Kigali, de l’Accord instituant la ZLECAf (44 pays signèrent l’Accord), des décisions et déclarations ultérieures ont été adoptées. L’unité, dont se sont félicités des chefs d’Etat, pour en arriver là, tiendra-t-elle longtemps au cours des négociations, vu les différents niveaux de développement économique et des priorités stratégiques diverses? En effet, la seule volonté d’une Afrique, déterminée à prendre en charge son propre destin, ne suffira pas.
Un marché unique de plus d’un milliard de consommateurs
Très rapidement, les satisfecit sont tombés. C’est comme si cette ZLECAf arrivait à point nommé. Pour la Banque mondiale, la ZLECAf peut stimuler la croissance, réduire la pauvreté et élargir l’inclusion économique en Afrique. Elle table sur 76 milliards de $ de revenus supplémentaires pour le reste du monde. D’autres institutions de Bretton Woods lui emboiteront le pas… Dans les textes, la mission et les objectifs, notamment accélérer le commerce intra-africain – actuellement à des niveaux ridicules de – 3% par endroits – et renforcer la position commerciale de l’Afrique sur le marché mondial, séduisent les 1,2 milliard de consommateurs qui la composent. L’Afrique a toujours eu un commerce intérieur faible. En 2017, les exportations intra-africaines représentaient 16,6% des exportations totales, contre 68% en Europe et 59% en Asie. Justement, un grand nombre d’observateurs trouvent que doubler le commerce intra-africain, renforçant ainsi la voix commune de l’Afrique et sa marge de manœuvre dans les négociations commerciales mondiales, reste néanmoins une chimère. Jugez-en vous-mêmes : l’Accord vise une union douanière continentale, l’élimination des droits de douane sur 90% des marchandises intra-africaines, aider à la circulation des capitaux et des personnes entre les pays, faciliter les investissements externes et réduire les barrières non tarifaires, mais aussi le temps des marchandises pour passer la douane… Face à des transporteurs bloqués aux frontières, avec camions et véhicules confisqués, marchandises brûlés ou vandalisés… des tracasseries policières tous les 10 km dans les pays traversés… Ce n’est pas demain la veille!
Préalable et lâcher de lest
Parmi les tares du continent, des économies à des niveaux de développement différenciés, une pléthore d’informels, une industrialisation balbutiante, des degrés de corruption et de concussion qui aliment régulièrement les chroniques. Les hypothèses les plus optimistes tablent sur un commerce interafricain devant booster une industrialisation et une compétitivité et favoriser la création d’emplois et libérer des chaînes de valeur régionales… Mais aussi l’attractivité du continent et la promotion de l’autonomisation des femmes africaines et le soutien suffisant aux PME, TPE et jeunes talents, en améliorant leur accès aux débouchés commerciaux. Elles occultent allègrement comment y arriver.
Le Ghanéen Wamkele Mene, Secrétaire général de la ZLECAf, dont le pays abrite le Siège du Secrétariat à Accra, perçoit les mêmes difficultés. Il a confié récemment que l’intégration de 55 marchés ne sera pas facile. Il a rappelé qu’aujourd’hui 54 pays ont signé l’accord tandis que 34 pays ont déposé leurs instruments de ratification et 41 pays/unions douanières ont soumis leurs offres tarifaires, y compris la CAE et la CEDEAO.
L’obstacle des barrières non tarifaires
Le Brexit, qui a été entériné le jour de naissance de la ZLECAf, n’a visiblement pas ébranlé les défenseurs de ce qu’il convient d’appeler la plus grande zone de libre-échange comptant le plus d’Etats membres, depuis le développement de l’Organisation mondiale du commerce.
Certes la ZLECAf, ce sera un marché de 1,2 milliard de personnes et un PIB combiné de 3 billions de dollars, mais elle fera face à un certain nombre d’obstacles dans la pratique, comme un manque d’infrastructures modernes et efficaces, un mercantilisme aux relents protectionnistes très subtile pour ériger des barrières non tarifaires (normes nationales de qualité, conditions phytosanitaires…). A en croire Christian Knebel, Economic Affairs Officer at the United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD), les barrières non tarifaires feront ou vont défaire la ZLECAf. Les analystes croient que la panacée viendrait de l’appendice 2 de l’annexe sur les barrières non tarifaires qui décrit les processus obligatoires et les délais. A cela, il faudra ajouter les mesures de sauvegarde que certains Etats n’hésiteront pas à brandir.
Par Daouda MBaye