Qui d’entre nous ne s’est pas agacé de la courte durée de vie d’un appareil qui rendit l’âme plutôt que prévu ? Face à cette situation, on regrette l’acte d’achat et on remet en cause la crédibilité du fabricant ou distributeur. Certains d’entre nous iront chez le réparateur pour le «réanimer». Un grand nombre rechignera à le réparer, préférant acheter un nouveau matériel, pour rester «In» et être à l’abri d’une mauvaise surprise à l’avenir. Ce renouvellement forcé a un nom : l’obsolescence programmée.
En clair, c’est une technique qui consiste à diminuer volontairement la durée de vie d’un objet pour pousser les consommateurs à en racheter encore et encore. Cette stratégie, si chère aux industriels, leur permet de maintenir leur chiffre d’affaires en constante progression.
Elle naquit aux États-Unis au début des années 1920. Le «comité Phoebus», premier cartel de l’histoire industrielle, en fut le précurseur, avec la fabrication des ampoules à incandescence dont la durée de vie est limitée à 1.000 heures.
Un siècle plus tard, cette désuétude planifiée persiste encore. Les approches changent. La même logique commerciale demeure. Ce renouvellement forcé provoque la surconsommation dans les pays industrialisés. L’usager privilégie ainsi l’«économie de possession» au détriment de l’«économie d’usage». Et c’est l’environnement qui en pâtit. Aux États-Unis, on dénombre pas moins de 1,8 million de tonnes de déchets électroniques par an. En France, chaque année, 40 millions d’appareils sont jetés sans être réparés, soit 100.000 tonnes de déchets. Le secteur informatique nous offre une illustration flagrante de cette stratégie mercantile.
La majeure partie de ces déchets sont déversés en Afrique, via des décharges clandestines. Leur nombre devait se situer à 67 millions de tonnes en 2017, selon un rapport de l’Université des Nations unies (UNU). Outre la pollution, ces objets contiennent des substances chimiques dangereuses comme le mercure, le cadmium ou encore le chrome, qui sont très nocives pour la santé des populations précaires qui tentent de les recycler pour assurer leur survie.
L’obsolescence programmée risque d’affecter à long terme les consommateurs africains dont le nombre augmente de manière considérable. Selon les prévisions de Deloitte, la classe moyenne africaine devrait sensiblement augmenter pour atteindre 1,1 milliard de personnes en 2060. Une hausse qui entraînera logiquement une montée en flèche des besoins de consommation. Ce qui risque de stimuler donc les achats prématurés.
L’Afrique devrait compter 321 millions de jeunes âgés de 15 et 24 ans d’ici 2030, quelque 350 millions de Smartphones devaient être en circulation en 2017. D’où la nécessité de mettre en place des législations contraignantes pour dissuader les grands groupes industriels. Leur imposer, par exemple, l’allongement de la durée de vie des produits et de l’afficher au moment de l’achat, comme le recommande l’ONU. Les associations de défense des consommateurs seront la locomotive de ce combat.
Les benchmarks ne manquent pas. En France, une loi votée en août 2015 contre l’obsolescence programmée prévoit une peine de 2 ans de prison ferme, une amende de 300.000 euros et 5% du chiffre d’affaires annuel pour les entreprises reconnues coupables de cette pratique. Le parquet de Paris a d’ailleurs ouvert, le 5 janvier 2018, une enquête judiciaire contre Apple, pour «tromperie et obsolescence programmée», suite à une plainte déposée le 17 décembre 2017 par l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP). Elle l’accuse de réduire la performance de ses Smartphones pour augmenter volontairement les ventes.
Aux États-Unis, des plaintes collectives ont été déposées contre le constructeur américain dans les États de Californie, de l’Illinois et de New York pour les mêmes motifs. En Italie, l’autorité garante de la concurrence a ouvert, mi-janvier 2018, une enquête contre Apple et Samsung pour obsolescence programmée.
En un mot comme en mille, il est temps de passer d’une logique de consommateur, à celle de consom’acteur ! Le cas échéant, l’Afrique, futur marché de la consommation mondiale, sera victime d’un double préjudice, écologique et économique.
Par Élimane sembène