Pas une semaine sans qu’on ne célèbre l’industrie en Afrique. Conseil Présidentiel pour l’Industrie, Semaine de l’Industrie, Sommet des Ministres pour l’Industrialisation de l’Afrique, Journées de l’Industrie et j’en passe. Mais la question de l’industrialisation, sujet central à plusieurs égards, ne se décrète pas.

Par Alioune GUEYE

L’industrialisation est une question clé du développement de tout pays. Nous savons aujourd’hui que la transformation structurelle de nos économies est la voie à suivre si nous voulons créer les emplois dont les 30 millions de jeunes africains ont besoin chaque année. Tous les chiffres le démontrent, le continent est très extraverti, quasiment 90 % de ses échanges commerciaux se font avec l’extérieur au détriment du commerce intra africain, et les communautés économiques n’ont pas suffisamment changé la donne, même si l’avènement de la ZLECAF promet de renverser la tendance. Comparativement, l’Europe échange à hauteur de 75% au sein de la Communauté Européenne et l’ASEAN dépasse les 50%.

En fait l’industrialisation est essentielle, car seule l’industrie peut créer une masse critique d’emplois dont notre économie a besoin pour surmonter le sous-emploi. Les services sont certes non négligeables, mais ils n’apporteront « que » les emplois complémentaires, du fait des effets d’entrainement créés par les activités industrielles.

Avec les effets conjugués de la démographie, des menaces terroristes dans le Sahel, et l’Afrique de l’est,  la création massive d’emplois est un sujet de quasi-sécurité nationale. Autrement dit, l’intégrité de la Nation est remise en cause. Des pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger, sur toute cette bande sahélienne n’ont même plus le contrôle de tout leur territoire. Et beaucoup de jeunes en mal d’opportunités pourraient être tentés de rejoindre les colonnes des djihadistes ou les rives de la Méditerranée en quête d’un avenir meilleur. De fait, la question même de « faire nation », appartenir à un même pays se pose avec plus d’acuité que jamais.

Après tout, qu’es ce qui fait l’effet d’appartenance pour que l’on se réclame de tel ou de tel pays ? Si l’Etat pourvoyait en services de base indispensable comme la santé, la sécurité des biens et des personnes, l’éducation, le citoyen pourrait se considérer être redevable à son pays. Mais quand l’Etat faillit à cette mission de services de base, en quoi ce jeune est-il redevable à son pays ? Voilà le risque : c’est celui que ce jeune vous dise « mon pays n’a rien fait pour moi », « je ne lui dois rien » et soit ainsi acculé, faute d’opportunités et de moyens de subsistance à se tourner vers le plus offrant. En cela, il constitue une proie facile pour les groupuscules terroristes et /ou les trafiquants humains de tous bords. C’est la conséquence logique de rupture du contrat social qui est le ciment de toute société.

Revenons à l’Industrie. Celle-ci ne se décrète pas, mais se construit patiemment autour d’écosystèmes intégrés. Quand on ne dispose pas de la technologie, le recours à ceux qui la possèdent est un incontournable pour qu’ils viennent investir chez vous. Et d’ailleurs, ce premier investisseur il faut lui donner tellement d’avantages pour le convaincre qu’on doit quasiment l’«acheter », de manière à ce qu’il encourage d’autres investisseurs à venir investir à leur tour. C’est le lieu de rappeler que l’industrie s’appuie sur la science et les technologies et que ce n’est pas avec 80% de bacheliers littéraires qu’on produira les ingénieurs dont nos pays ont tant besoin. La promotion des STEM est un impératif. Ecosystème disions-nous car autour de l’usine, il faut des centres de recherche, des laboratoires, des Universités, des équipementiers, des services de maintenance…qui se nourrissent mutuellement pour co créer de la valeur. La problématique de la transformation se situe précisément à ce niveau. L’Afrique regorge de ressources de toutes sortes, mais ces ressources sont encore majoritairement exportées en l’état sans transformation aucune. Il en va ainsi du bois, du manganèse, de la bauxite, mais aussi du pétrole pour ne citer que les ressources les plus connues. Or, ce que l’on désigne par valeur ajoutée comme son nom l’indique bien, nous échappe et est transférée hors du Continent. Transformer à l’étranger nos matières premières c’est exporter le travail de nos jeunes et tous les effets d’entrainement sur le reste de l’économie africaine.

A l’ère de l’Intelligence artificielle, des biotechnologies, de la robotique, des nanotechnologies, sans oublier l’économie spatiale, et l’économie bleue, force est de constater que l’Afrique, 60 ans après les indépendances n’est toujours pas intégrée dans les nouvelles chaines de valeur. La valeur ajoutée manufacturière, indicateur utile pour apprécier la part de l’industrie dans le PIB,  atteint péniblement 10% du PIB en moyenne sur le Continent en régression comparativement à quelques décennies où il atteignait presque 20%. Et ce ne sont pas les quelques levées de fonds aussi remarquables les unes que les autres de startups nigérianes, égyptiennes ou kenyanes voire l’émergence de quelques écosystèmes industriels en Afrique du Sud, ou au Maroc qui vont changer la donne dans le court terme. Ces performances individuelles ne sont pas suffisamment contagieuses pour faire tâche d’huile et créer les effets d’entrainement et de ruissèlement dans la société.

Si nous voulons enclencher une dynamique industrielle vertueuse sur le continent plusieurs réformes doivent être engagées.
Dans le court terme :

  • Etat des lieux: Identifier tous les goulets d’étranglement qui freinent les investissements et les résorber par ordre de priorité et d’impact. Le classement pays est disponible annuellement et donne des indicateurs précis sur plusieurs rubriques et domaines de réforme, comme la commande publique, le marché du travail, la fiscalité….
  • Développer des partenariats stratégiques avec les détenteurs de technologies d’une part dans une logique d’écosystème, et les pourvoyeurs de marchés d’autre part pour bénéficier de débouchés.
  • Tirer parti des quick wins qu’offre l’avènement de la ZLECAF et l’intégration des marchés africains, tout en privilégiant la complémentarité des économies africaines au travers de pôles de compétitivité. Tous les pays africains ne peuvent pas être des hubs.

Dans le moyen – long terme :

  • Réformer l’éducation en mettant en particulier l’accent sur les STEM (Sciences, Technologies, Mathématiques et Sciences)
  • Domestiquer les technologies du futur en les adaptant au contexte local. Je pense en particulier au secteur pharmaceutique, aux biotechnologies, à l’Intelligence artificielle pour ne citer que les plus porteuses.
  • S’engager dans les métiers mondiaux de manière à s’insérer dans les chaines de valeur mondiales, quitte à commencer par des activités peu intensives en technologie et à remonter les filières au fur et à mesure en surveillant scrupuleusement le taux d’intégration, autrement dit la valeur ajoutée locale.

C’est le prix à payer pour inscrire l’Afrique dans la dynamique de l’industrie 4.0 au risque de manquer cette nouvelle révolution comme elle a manqué la révolution agricole.